BRUXELLES — Les gouvernements européens envisagent de rassurer l’administration Trump en modifiant les règles de l’UE sur l’imposition des multinationales pour exempter les Etats-Unis d’une disposition clé de l’accord mondial historique.
Dans le cadre de ce dernier, négocié au sein de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), près de 140 pays se sont entendus en 2021 pour fixer un taux d’imposition minimum de 15% pour les multinationales dont le chiffre d’affaires est d’au moins 750 millions d’euros par an. Cet accord est considéré comme une étape essentielle dans la lutte contre l’évasion fiscale.
A ce jour, une quarantaine de pays ont mis en œuvre l’impôt minimum, dont une majorité de membres de l’UE, qui a transposé l’accord dans son droit et l’a présenté comme “une nouvelle aube pour l’imposition des grandes multinationales”.
Les Etats-Unis ont négocié l’accord de 2021, qui comprend un impôt minimum que les pays peuvent introduire unilatéralement et de nouvelles règles sur la manière dont les grandes entreprises devraient être imposées pays par pays. Mais Washington ne l’a jamais mis en œuvre.
Le jour où il a officiellement entamé son second mandat, Trump a annoncé le retrait des Etats-Unis de l’accord et a chargé le secrétaire américain au Trésor, Scott Bessent, d’enquêter pour savoir si des pays étrangers ont mis en place ou prévoient de mettre en place des règles fiscales “extraterritoriales ou qui affectent de manière disproportionnée les entreprises américaines”.
Plus précisément, l’administration américaine a critiqué une disposition clé de l’accord de l’OCDE qui permet à un pays d’augmenter les impôts sur les multinationales que d’autres pays n’imposent pas à l’impôt minimum, afin de combler le manque à gagner.
“Si vous prenez l’exemple d’une entreprise pharmaceutique américaine qui vend des médicaments en Italie et transfère ses bénéfices en Irlande […] théoriquement, avec l’impôt minimum mondial, ce qui se passerait, c’est que l’Irlande devrait la taxer à 15% minimum ; et si elle ne le fait pas, alors les Etats-Unis le feraient ; et si les Etats-Unis ne le font pas, alors l’Italie le ferait”, illustre auprès de POLITICO Quentin Parrinello, de l’Observatoire européen de la fiscalité, basé à Paris.
Ce mécanisme, appelé “règle des bénéfices insuffisamment imposés”, est conçu pour inciter les pays à se faire concurrence pour la perception d’un impôt minimum, au lieu de se faire concurrence pour attirer les entreprises avec des impôts faibles comme ils l’ont fait pendant des décennies. Il devrait être appliqué pour la première fois l’année prochaine.
“Ce que [les autorités américaines] font, en fait, c’est d’essayer de saper toute la structure [de l’accord mondial]”, estime Quentin Parrinello. “Ils veulent détruire un accord sur un impôt mondial qui permettrait à d’autres pays de mettre en place un impôt minimum qui ne correspondrait pas à leurs intérêts.”
Selon un document du Conseil de l’Union européenne vu par POLITICO, l’UE envisage désormais de “limiter l’application” de la règle des bénéfices insuffisamment imposés. Cela pourrait se faire en prolongeant au-delà de 2026 une exemption actuelle pour les entreprises dont la maison mère se trouve dans un pays ayant un taux d’imposition de 20% (ou plus), ou en créant une nouvelle exemption sur mesure, ou même en changeant les règles “pour supprimer intégralement ce mécanisme”.
Prêt à en discuter
Lors d’une réunion de l’OCDE au début du mois, les Etats-Unis auraient fait savoir qu’ils étaient désireux de négocier sur cette question.
Selon le document consulté par POLITICO, Washington a dit vouloir trouver un compromis “qui respecte les pouvoirs souverains des Etats-Unis” et que “toutes les autres grandes économies” ont indiqué qu’elles étaient prêtes à discuter de la question.
Le document aborde les développements potentiels dans les négociations en cours et les idées sur la manière de répondre aux préoccupations des Etats-Unis. Il est destiné à alimenter une discussion que les représentants des gouvernements européens tiendront mardi.
Le document prévient que l’application de cette règle “pourrait entraîner des mesures de rétorsion” de la part de Washington, y compris à l’encontre d’entreprises européennes.
Trump a déjà fait la démonstration de la manière, plutôt agressive, qu’il a d’aborder les enjeux économiques, en brandissant des droits de douane et en déclenchant une guerre commerciale chaotique. Bruxelles tente actuellement de négocier avec Washington afin d’éviter l’imposition de droits de douane supplémentaires de 20% sur l’ensemble des importations américaines de produits européens. Les Etats membres semblent ouverts à des concessions sur le front fiscal, afin de ne pas exacerber les tensions transatlantiques actuelles.
Toutefois, le document du Conseil souligne également que de nouvelles exonérations “pourraient” désavantager les entreprises de l’UE qui continueraient à être soumises à l’imposition minimale.
Le document propose également de modifier les règles mondiales en calculant les crédits d’impôt de manière moins stricte, de façon à augmenter le taux d’imposition effectif des Etats-Unis et à réduire l’impôt que d’autres pays peuvent imposer aux filiales américaines, voire d’aligner les règles européennes et américaines en matière de méthode comptable sur les taux d’imposition.
Une réforme fiscale adoptée par le Congrès américain sous la première administration Trump a imposé aux multinationales un taux d’imposition minimum inférieur à celui prévu par l’accord de l’OCDE, et l’a calculé uniquement sur une base mondiale.
“La question est de savoir si l’Europe cédera à la pression des Etats-Unis et autorisera la modification de l’accord mondial”, souligne Quentin Parrinello. Une exemption potentielle pour les entreprises américaines inciterait les firmes européennes à s’installer aux Etats-Unis : “C’est contre-productif pour l’Union européenne”, poursuit-il.
Le risque, ajoute-t-il, est de revenir “à la décennie de course au moins-disant fiscal en matière d’impôt sur les sociétés. […] Cela signifie que les pays devront chercher d’autres sources de revenus, ce qui implique des réductions de dépenses ou une augmentation des impôts sur d’autres personnes.”
Le commissaire européen à l’Economie, Valdis Dombrovskis, a assuré que les pays de l’UE “sont attachés à cet accord sur un impôt mondial de l’OCDE”. Il a aussi prévenu, lors d’un événement organisé par le Council on Foreign Relations lundi, qu’en l’absence d’un accord sur l’allocation équitable des droits d’imposition au niveau mondial, la question des taxes européennes sur le numérique serait probablement de retour. Il n’a toutefois pas abordé la question de l’impôt minimum sur les sociétés.
Cet article a d’abord été publié par POLITICO en anglais et a été édité en français par Jean-Christophe Catalon.
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