BRUXELLES — Le jour de l’investiture du président américain Donald Trump, les conseillers en communication des commissaires européens ont reçu des instructions strictes de la part de leur homologue du cabinet d’Ursula von der Leyen.
Selon un responsable de l’UE, ils n’ont été autorisés qu’à reposter le message adressé à Trump par la présidente de la Commission européenne sur les réseaux sociaux, le 20 janvier, et en aucun cas à ajouter une touche personnelle.
Cette façon de superviser est désormais l’une des caractéristiques du mandat de von der Leyen à la tête de la Commission. Son style de leadership est marqué par plus de contrôle que jamais auparavant, alors qu’elle entame son second quinquennat. Il s’agit d’une centralisation du pouvoir que beaucoup considèrent comme évoluant vers un modèle entièrement présidentiel sous la main ferme de l’ancienne ministre allemande de la Défense, âgée de 66 ans.
Tout cela fait partie d’un schéma dans lequel elle et un cercle restreint de conseillers essentiellement allemands dirigent les opérations, en évitant largement le contrôle du Parlement européen et en gardant la mainmise sur tous les messages et toutes les communications.
La pneumonie de von der Leyen en janvier a fourni un exemple frappant de la façon dont les choses fonctionnent désormais. Son équipe de communication a délibérément dissimulé le fait qu’une grande dirigeante mondiale était hospitalisée, tandis que l’Allemande elle-même n’a pas cédé le contrôle de l’exécutif européen à son numéro 2. Cela signifie également qu’une réunion des 27 commissaires n’a pas pu se tenir en Pologne sans elle.
Cette culture du secret existait déjà au cours de son premier mandat, notamment lorsqu’elle a refusé de révéler les SMS qu’elle avait échangés avec le patron de Pfizer, négociant personnellement les contrats de vaccination pendant le Covid. Ce refus a suscité de vives critiques de la part du médiateur européen, qui a déclaré que l’équipe de von der Leyen s’était rendue coupable de “mauvaise administration”.
La présidente a non seulement balayé d’un revers de la main les conclusions du médiateur, mais elle a en plus limité officiellement l’accès à certains types de documents — une décision contre laquelle l’ONG environnementale ClientEarth a engagé une procédure. Consolidant son emprise sur l’image publique de la Commission, von der Leyen a également réduit le nombre de porte-parole de l’institution.
“On constate une évolution vers un système présidentiel, et encore plus […] sous von der Leyen”, analyse Karel Lannoo, directeur général du Centre for European Policy Studies, un think tank.
Son style de management vertical a eu des conséquences concrètes. Les grandes politiques viennent directement du sommet, et Bruxelles a été largement pris au dépourvu par sa décision soudaine de tailler dans les réglementations de l’Union. Cette façon de procéder implique aussi que, sans elle, les choses s’arrêtent : ainsi, la présentation du plan phare de l’UE pour redresser l’économie, baptisé “boussole pour la compétitivité”, a été retardée en raison de l’absence de l’Allemande.
De nombreuses personnes à Bruxelles ont aussi été choquées, à la fin de l’année dernière, par les projets de la Commission visant à centraliser le contrôle de l’énorme trésorerie de l’UE, qui s’élève à 1 200 milliards d’euros sur sept ans.
“Toutes les décisions politiques sont prises au niveau de la présidente”, affirme un ambassadeur d’un pays non membre de l’UE. Celui-ci, comme d’autres personnes citées dans cet article, a obtenu l’anonymat pour parler franchement d’Ursula von der Leyen.
Interrogé sur le style de direction de sa patronne, le porte-parole en chef adjoint de la Commission européenne, Stefan de Keersmaecker, a répondu : “La Commission von der Leyen a toujours placé la collégialité et la coopération entre les commissaires et les services au cœur des méthodes de travail de la Commission […] La présidente chérit la coopération en tant que principe directeur à tous les niveaux de la Commission.”
“Il y a ce sentiment d’équipe”, a confié Glenn Micallef, le commissaire maltais, à POLITICO. “Tous les collègues avec lesquels je m’engage sont tout à fait disposés à écouter, à contribuer, à aider.”
Leadership personnalisé
Les défenseurs de von der Leyen soutiennent que son style de leadership personnalisé et son insistance à être présente au siège de la Commission au Berlaymont ont leurs avantages.
Un ancien commissaire relatait que von der Leyen était très réactive aux textos et aux messages WhatsApp, même à des horaires décalés et le dimanche. Les commissaires savent qu’ils peuvent demander à être reçus en personne et que leur requête est généralement acceptée.
Une autre ancienne commissaire, Věra Jourová, se souvient que même “[s’]il y avait des sujets pour lesquels j’avais l’impression que c’était centralisé […] je n’ai jamais eu l’impression que ma voix [n’était] pas entendue par [von der Leyen] ou par mes collègues”.
Elle a estimé auprès de POLITICO qu’un certain niveau de centralisation était impératif pour gérer des crises géopolitiques de l’ampleur de l’invasion de l’Ukraine par la Russie.
Mais tout le monde ne voit pas les choses de la même manière.
Des membres de l’exécutif de l’UE pensent le contraire, comme l’ancien commissaire Thierry Breton, qui s’est ouvertement opposé à Ursula von der Leyen.
Breton a démissionné de la Commission en 2024 après s’être brouillé avec l’Allemande. La goutte d’eau qui a fait déborder le vase est arrivée l’été dernier lorsque le Français a tweeté une lettre d’avertissement au milliardaire américain, Elon Musk, sans avertir la présidente de la Commission ou son cabinet de son intention de le faire. Ursula von der Leyen a souligné à plusieurs reprises que les 27 commissaires devraient fonctionner comme un “collège” et prendre des décisions collectivement.
La réaction n’a pas tardé.
Un mois plus tard, Thierry Breton, qui avait été choisi par l’Elysée pour effectuer un second mandat au sein de la Commission, s’est retiré. Von der Leyen aurait dit à Emmanuel Macron qu’elle ne pouvait pas travailler avec le commissaire français.
“Le secret et le contrôle s’avéreront peut-être être ses plus grandes faiblesses”, commente un diplomate de l’UE.
“Le Covid et la crise ukrainienne ont prouvé à cette femme que c’est la voie à suivre. Vous écrasez toutes les procédures, toutes les lois et toutes les règles, vous concentrez tout le putain de pouvoir que vous pouvez et ils vous applaudiront quand même pour cela”, considère un deuxième diplomate.
Un autre a vu les choses différemment.
“Peut-on diriger la Commission d’une autre manière ?”, se demande-t-il.
Cet article a d’abord été publié par POLITICO en anglais et a été édité en français par Jean-Christophe Catalon.
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