BRUXELLES — Chasse aux sorcières ou contrôle minutieux ? Ce n’est pas si simple.
Les eurodéputés conservateurs ont passé une grande partie du mois dernier à accuser la Commission de payer des militants écologistes pour qu’ils fassent discrètement du lobbying en son nom en faveur du Pacte vert.
Cela signifierait que l’exécutif européen se serait comporté comme un organe politique, défendant ses propres intérêts aux frais des contribuables, alors qu’il devrait servir l’intérêt général européen.
Les ONG ont répondu que leur travail financé par la Commission contribue à un débat ouvert sur l’élaboration des politiques de l’UE et qu’elles ne reçoivent pas d’ordres. Bruxelles a également déclaré qu’aucune des activités énumérées dans ces contrats avec les ONG n’était illégale et que les activités réalisées — y compris le lobbying — relevaient de la responsabilité des ONG et non de la sienne.
L’enjeu est de savoir qui exerce le plus d’influence dans les cercles décisionnels de Bruxelles. Ce qui se résume souvent à savoir qui a le plus d’argent pour payer les lobbyistes.
POLITICO a vu et analysé 28 contrats signés entre la Commission et des ONG — des accords qui ont rendu furieux les eurodéputés de droite —, afin de comparer leur contenu avec ce qui a été affirmé au cours des débats parlementaires.
Lobbying de l’ombre et instructions de la Commission
Ce qui a été affirmé : La Commission a utilisé des ONG pour un “lobbying de l’ombre”, a déclaré Dirk Gotink du Parti populaire européen (PPE), une formation de centre droit. Les contrats de la Commission contiennent également des “instructions” pour “manipuler” le processus législatif, selon Monika Hohlmeier, également du PPE.
Ce que nous avons trouvé : Le fait que la Commission donne de l’argent aux ONG et à leurs campagnes n’est pas un secret : le Parlement l’a validé en 2020. En soutenant le travail des ONG à Bruxelles, le programme Life vise à équilibrer la représentation des intérêts publics dans les débats politiques, dans lesquels le secteur privé a généralement beaucoup plus d’argent à dépenser. Les appels à subventions Life et leurs conditions sont publics, et ces 20 pages ne contiennent aucun signe indiquant que les ONG candidatant à un financement doivent s’aligner sur les intérêts de la Commission ou faire du lobby sur le Parlement en son nom pour obtenir l’argent.
Les ONG sont tenues, en toute confidentialité, de divulguer les actions qu’elles prévoient de mener à la Commission avant d’accéder à la cagnotte de l’UE — qui fixe un maximum de 700 000 euros par ONG et par an.
Selon certains eurodéputés du PPE, ces programmes de travail pourraient être considérés comme des “instructions” de la Commission, car ils peuvent contenir des descriptions de travaux de plaidoyer, y compris des réunions avec des représentants des institutions de l’UE et des parlementaires, ainsi que l’organisation d’événements, de campagnes dans les médias sociaux, etc. Cependant, les associations sont les seules responsables de la rédaction de ces programmes de travail et la Commission ne les modifie pas, ont déclaré des représentants d’ONG et la Commission.
Dans les 28 contrats accordés aux ONG et analysés par POLITICO, la Commission ne donne nulle part d’instructions directes pour faire du lobbying en son nom. Quelque 60 pages de clauses décrivent les conditions à respecter, y compris les règles contre la fraude, la corruption et la désinformation.
La Commission indique également que si les ONG n’appliquent pas leurs programmes de travail, leurs subventions peuvent être supprimées. Mais elle ne mentionne pas dans les contrats l’obligation de promouvoir le Pacte vert, ou de cibler des députés européens spécifiques ou d’autres services de la Commission, comme condition d’obtention d’une subvention.
La Commission ajoute même une clause de non-responsabilité selon laquelle les “points de vue et opinions exprimés” par les ONG “ne reflètent pas nécessairement ceux de l’Union européenne”.
En bref, la controverse a été alimentée par le soupçon que la Commission ne donnait de l’argent qu’aux ONG qui étaient d’accord avec son programme. Rien dans les contrats ne permet de penser que c’est ce qui s’est passé.
Financement d’attaques contre les agriculteurs ou le Mercosur
Ce qui a été affirmé : “Les poursuites judiciaires contre les agriculteurs, les autorités, les entreprises et les infrastructures faisaient partie des programmes du projet”, a déclaré Monika Hohlmeier (PPE).
Ce que nous avons trouvé : Deux contrats, analysés par POLITICO, contiennent des programmes de travail mentionnant que les ONG recevant les subventions ont l’intention d’explorer des voies juridiques — y compris le lancement de procès ou le soutien aux citoyens pour déposer des plaintes juridiques —, afin d’améliorer la mise en œuvre de la législation environnementale de l’UE.
L’un des contrats indique que l’ONG vise à “accroître l’utilisation de l’Etat de droit en tant qu’outil puissant et efficace pour conduire des changements systémiques sur les questions environnementales”, et ajoute qu’elle souhaite “introduire des pratiques respectueuses de l’environnement dans le secteur agricole par le biais de moyens juridiques et de plaidoyer”.
Dans ce cas, l’attaque du PPE semble fondée sur des faits.
Ce qui a été affirmé : “La lutte contre les accords de libre-échange, tels que le Mercosur, était également l’un des objectifs du financement. Le but était d’organiser des manifestations de masse [et] des campagnes d’envois massifs de courriers pour exercer une pression publique sur les députés européens qui avaient un point de vue différent de celui des réseaux”, a déclaré Monika Hohlmeier (PPE).
Ce que nous avons trouvé : POLITICO a examiné 28 contrats et aucun ne décrit une campagne contre l’accord commercial avec le Mercosur ou l’organisation de grandes manifestations et de campagnes d’envois massifs d’e-mails.
L’utilisation abusive de l’argent de l’UE
Ce qui a été affirmé : Le programme Life prévoit “5,5 milliards d’euros pour diffamer les agriculteurs, déjà accablés par des normes déconnectées de la réalité du terrain, pour attaquer nos entreprises, déjà asphyxiées par les charges et obligations de toutes sortes, et pour dénigrer notre industrie nucléaire, pourtant décarbonée et fiable”, a déclaré Céline Imart (PPE).
Ce que nous avons trouvé : Le programme Life actuel dispose d’un budget de 5,4 milliards d’euros pour la période 2021-2027. Sur ce budget, 15,6 millions d’euros sont consacrés chaque année à des subventions de fonctionnement pour les ONG environnementales. Le reste sert à financer l’innovation verte, l’économie circulaire, l’efficacité énergétique, des projets de conservation de la nature et des initiatives de lutte contre la pollution dans l’UE.
Les contrats analysés par POLITICO ne suggèrent pas que les ONG ont planifié des campagnes spécifiques contre les agriculteurs ou les entreprises parmi les activités financées par les subventions. Ils mentionnent toutefois des campagnes sur les réseaux sociaux critiquant l’utilisation de pesticides.
Ce qui a été affirmé : “Les ONG reçoivent des centaines de milliers d’euros … [qui] sont utilisés pour faire du lobbying contre les députés”, a déclaré Alexander Bernhuber (PPE).
Ce que nous avons trouvé : Chaque ONG peut recevoir jusqu’à 700 000 euros par an au titre d’une subvention de fonctionnement Life. La plupart d’entre elles sont également financées par des fondations philanthropiques ou des dons individuels. Les contrats analysés par POLITICO n’indiquent pas que les ONG prévoyaient de faire du lobbying “contre” des députés européens en particulier. Certains contrats mentionnent toutefois que des eurodéputés et d’autres représentants des institutions de l’UE seraient contactés. Aucun nom n’a été donné.
L’argent que les ONG reçoivent dans le cadre des subventions de fonctionnement Life peut être utilisé pour des activités de plaidoyer et de lobbying, mais pas seulement pour cibler les députés européens. Selon les contrats examinés, les programmes de travail des ONG comprennent également la rédaction de rapports et de notes d’information, ainsi que l’organisation d’événements et de campagnes sur les réseaux sociaux. Ces activités peuvent cibler non seulement les députés européens, mais aussi les responsables de la Commission et les représentants des gouvernements nationaux, ainsi que les entreprises.
L’éthique de tout cela
Ce qui a été affirmé : La manière dont les subventions sont accordées aux ONG est “non transparente”, a déclaré l’eurodéputé Thomas Geisel, qui n’est rattaché à aucun groupe politique.
Ce que nous avons constaté : Les groupes de défense de l’environnement doivent répondre à des appels à candidatures publics, qui définissent les exigences et les critères d’éligibilité pour recevoir une subvention de fonctionnement dans le cadre du programme Life — comme le fait d’être une organisation à but non lucratif, d’être indépendant des partis politiques et des intérêts commerciaux, et d’être actif au niveau de l’UE en matière de politique environnementale et climatique.
Les candidatures sont ensuite évaluées par des agences de l’UE, telles que l’Agence exécutive européenne pour le climat, les infrastructures et l’environnement (CINEA), et non directement par la Commission. Les noms de tous les bénéficiaires de subventions sont publics, de même que le montant qu’ils reçoivent chaque année.
Les ONG font également l’objet d’audits réguliers de la part de la Commission afin de s’assurer qu’elles respectent les règles d’utilisation des fonds de l’UE. Les contrats comportent toutefois des clauses de confidentialité.
Cet article a d’abord été publié par POLITICO en anglais et a été édité en français par Jean-Christophe Catalon.
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