BRUXELLES — Les chefs d’Etat et de gouvernement de l’Union européenne s’apprêtent à charger la Commission européenne d’élaborer une proposition juridique visant à utiliser des milliards d’euros d’avoirs gelés de l’Etat russe pour financer un prêt massif à l’Ukraine, après que la Belgique a fait savoir qu’elle ne s’y opposerait pas.
La proposition controversée, si elle est adoptée, pourrait débloquer jusqu’à 140 milliards d’euros pour financer l’effort de guerre de l’Ukraine pendant encore deux ou trois ans, en utilisant les avoirs de l’Etat russe qui ont été immobilisés après l’invasion de l’Ukraine en février 2022.
La Commission européenne a lancé l’idée pour la première fois en septembre, mais elle attend la bénédiction explicite des chefs d’Etat et de gouvernement européens avant de présenter une proposition concrète. Cette approbation devrait intervenir lors de la réunion trimestrielle du Conseil européen, qui se tient jeudi à Bruxelles, et à laquelle participent les 27 dirigeants de l’UE.
En préparation de ce sommet, les ambassadeurs de l’UE se sont mis d’accord de manière informelle sur un projet de conclusions du Conseil européen, consulté par POLITICO, et qui appelle la Commission à présenter une proposition “étayée par une solidarité européenne et un partage des risques appropriés”.
Ce texte est “le feu vert politique” pour que la Commission émette une proposition après la réunion de jeudi, explique un diplomate belge.
“Je ne suis pas si inquiet que la Belgique” pose problème au sein du Conseil européen, confie un diplomate européen venant d’un autre pays.
La Belgique s’est montrée prudente parce qu’elle héberge Euroclear, l’organisme financier qui détient les avoirs gelés, et craint qu’un tribunal ne la force à rembourser l’argent elle-même. Mais le diplomate belge précité indique à POLITICO que le pays ne devrait pas s’opposer jeudi à ce qu’il soit demandé à la Commission de présenter une proposition.
Toutefois, même si l’exécutif européen obtient le feu vert, sa proposition juridique devra survivre à des semaines de négociations difficiles avec les Etats membres.
Une mesure existentielle
Pour l’Ukraine, l’issue pourrait s’avérer existentielle. Sans le prêt de l’UE, le pays est confronté à un déficit budgétaire de 60 milliards de dollars au cours des deux prochaines années. Les Etats-Unis ayant effectivement cessé d’apporter un soutien fiable, les responsables européens décrivent en privé cette initiative comme la “dernière munition” pour renforcer la position de Kiev dans les pourparlers de paix avec la Russie.
Cette décision intervient alors que la position imprévisible de Washington sur le conflit a semblé pencher en faveur de la Russie au cours du week-end dernier.
Entériner ce “prêt de réparation” de plusieurs milliards avant que le président américain Donald Trump et le président russe Vladimir Poutine ne se rencontrent à Budapest dans les semaines à venir constituerait un coup de pouce majeur pour l’Ukraine, en sapant les tentatives de la forcer à faire des concessions territoriales douloureuses à Moscou.
“Les Russes parient sur notre fatigue de guerre, mais le prêt pour les réparations peut montrer à la Russie que l’Ukraine sera financièrement viable au cours des deux ou trois prochaines années”, avance un diplomate de l’UE à qui, comme d’autres personnes citées dans cet article, l’anonymat a été garanti pour pouvoir s’exprimer librement.
Les lignes rouges de la Belgique
La Commission est convaincue qu’elle peut concevoir un plan juridiquement solide et éviter les accusations d’expropriation pour les avoirs russes, selon des responsables au fait du dossier.
Les avoirs détenus par Euroclear sont investis dans des titres de dette d’Etats occidentaux qui sont arrivés à échéance et ont été transformés en liquidités. Celles-ci se trouvent actuellement sur un compte de dépôt auprès de la Banque centrale européenne et la Commission souhaite les envoyer en Ukraine.
Bruxelles affirme qu’il ne s’agit pas d’une confiscation, car la Russie pourrait encore récupérer les avoirs gelés en versant à l’Ukraine des compensations d’après-guerre — ce qui est toutefois considéré comme très improbable.
Pour que ce projet se concrétise, la Commission devra encore convaincre le Premier ministre belge de droite, Bart De Wever — qui a le don des commentaires percutants —, de donner sa bénédiction au prêt.
Le pays craint de devoir rembourser le prêt si une décision de justice oblige l’UE à restituer l’argent à la Russie. La Commission a qualifié ce scénario de très improbable, car les décisions des tribunaux russes ne seraient pas exécutoires en Europe.
Par ailleurs, la Commission a fait un certain nombre de concessions pour apaiser les inquiétudes de la Belgique dans un document informel jeudi. Mais ces garanties sont “trop larges et ne répondent pas à toutes les questions” soulevées auparavant par De Wever, pointe le diplomate belge.
Pour qu’Euroclear ne soit pas spécifiquement ciblé, la Commission a indiqué qu’elle étudierait la possibilité d’utiliser 25 milliards d’euros d’avoirs russes déposés dans des établissements bancaires et financiers situés ailleurs dans l’Union européenne — tout en admettant que cette opération était juridiquement délicate.
La Belgique craint que les investisseurs de pays comme la Chine ne retirent leurs fonds d’Euroclear par peur qu’ils ne leur soient également retirés pour des raisons politiques.
Autre concession : l’exécutif européen a suggéré un filet de sécurité permettant à la Commission de prêter instantanément de l’argent aux pays s’ils doivent un jour rembourser le prêt.
Cette mesure vise à rassurer la Belgique sur le fait qu’elle ne sera pas seule et que d’autres pays de l’UE apporteront leur contribution dans le pire des scénarios.
Même sans l’approbation finale de la Belgique jeudi, la Commission peut encore présenter une proposition juridique après la réunion des chefs d’Etat et de gouvernement.
“La Belgique a mis en avant une position maximaliste afin de parvenir à un compromis une fois qu’une proposition sera sur la table”, décrypte le premier diplomate de l’UE cité.
Cet article a d’abord été publié par POLITICO en anglais, puis a été édité en français par Jean-Christophe Catalon.
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