La course à la présidence de la République polonaise est lancée. Les deux candidats qualifiés pour le second tour sont au coude à coude avant le vote du 1er juin, dont l’impact dépassera largement les frontières du pays.
Donné largement favori avant le premier tour dimanche, le maire centriste de Varsovie, Rafał Trzaskowski, a recueilli 31,4% des voix. Un score relativement proche de son concurrent Karol Nawrocki, soutenu par le parti populiste de droite Droit et justice (PiS), qui a réalisé une meilleure performance qu’attendu en obtenant 29,5% des suffrages.
L’enjeu n’est pas seulement de savoir qui sera président — une fonction en grande partie, mais pas totalement, symbolique —, mais de savoir si les efforts de la Pologne pour rétablir un système basé sur l’Etat de droit peuvent payer.
Pour le PiS, il s’agit de déterminer si la défaite subie lors des élections législatives de 2023 n’était qu’un revers temporaire et si, à l’instar de Donald Trump qui est revenu en force à la présidence des Etats-Unis après un interrègne de quatre ans, le parti peut prétendre à reprendre le pouvoir.
“C’est très ouvert et ce sera très serré”, prédit Aleks Szczerbiak, professeur à l’université du Sussex, qui suit de près la politique polonaise.
Le résultat de dimanche a été beaucoup plus serré que prévu et force Rafał Trzaskowski à rester sur ses gardes. Bien que la plupart des sondages réalisés avant le vote lui donnent un avantage pour le second tour du 1er juin, sa tâche sera beaucoup plus difficile que celle de Karol Nawrocki.
Bartosz Rydliński, politologue à l’université Cardinal Stefan Wyszyński de Varsovie, estime que Rafał Trzaskowski pourrait ne pas avoir assez de temps pour réorganiser sa campagne. “Trzaskowski a maintenant onze jours pour décoder les raisons pour lesquelles tant d’électeurs, qui soutenaient auparavant sa coalition, sont restés chez eux ou ont voté pour d’autres candidats.”
Le maire de Varsovie devra trouver le moyen de rallier son électorat centriste des grandes villes, et de gagner le soutien de ceux qui ont voté pour des petits candidats de gauche éliminés au premier tour.
“Trzaskowski doit convaincre les électeurs de gauche qu’il les prend au sérieux, et leur montrer que cela vaut la peine de se rendre aux urnes [le 1er juin]. Je suis heureuse de l’aider à ajuster son cap de manière à inclure les questions qui importent à la gauche et aux électeurs de gauche”, a déclaré Magdalena Biejat, qui a obtenu 4,2% en tant que candidate de La Gauche, à la chaîne de télévision TVN24 le soir de l’élection.
Szymon Hołownia, le président de la Diète (la Chambre basse) et chef du parti Pologne 2050 qui est membre de la coalition de Tusk, est arrivé en cinquième position avec 5% des voix. Il a clairement indiqué qu’il soutenait le maire de Varsovie.
“Je veux dire de mon côté, et je pense qu’une telle décision sera également prise par notre groupe politique, que nous devons donner une chance à Rafał Trzaskowski lors de ce second tour”, a-t-il déclaré après le vote de dimanche.
Mais Rafał Trzaskowski doit également attirer certains partisans du libertarien de droite Sławomir Mentzen, arrivé en troisième position dimanche avec 14,8%.
Lié à Tusk
Le problème de Rafał Trzaskowski est qu’il est étroitement lié au Premier ministre Donald Tusk, qui a vu sa cote de popularité chuter alors que son gouvernement de coalition n’a pas tenu les promesses de réforme qu’il avait faites avant les élections de 2023. Le gouvernement accuse le président sortant Andrzej Duda, aligné sur le PiS, de bloquer son programme, mais il y a un sentiment de dérive au sein du nouveau gouvernement qui nuit à Rafał Trzaskowski.
“Beaucoup de gens sont très déçus par Tusk”, commente Aleks Szczerbiak, évoquant ceux qui souhaitaient des changements, par exemple un assouplissement des lois draconiennes sur l’avortement, la reconnaissance légale des couples de même sexe ou un effort plus vigoureux pour demander des comptes aux membres de l’ancien gouvernement PiS pour les fautes dont ils sont accusés.
La tâche de Karol Nawrocki est plus facile. Il lui suffit de rassembler la majorité des électeurs qui ont soutenu les candidats opposés au gouvernement de Donald Tusk.
Piotr Buras, senior fellow au Conseil européen pour les relations internationales, a calculé que les candidats de droite et d’extrême droite ont totalisé 54% des voix au premier tour.
Karol Nawrocki “aura une plus grande réserve de voix dans laquelle puiser”, a-t-il exposé dans une analyse postélectorale.
Karol Nawrocki a déjà commencé à faire les yeux doux aux électeurs de Sławomir Mentzen, en leur disant immédiatement après le premier tour dimanche : “C’est le moment de sauver la Pologne. Nous voulons tous deux une Pologne souveraine, forte, riche et sûre.”
Mais les partisans de Sławomir Mentzen, qui sont jeunes et urbains, ne collent pas avec le PiS, qui a tendance à attirer les électeurs plus âgés et plus pauvres des petites villes. Tout comme le PiS, Sławomir Mentzen est conservateur sur les questions de société, réclamant l’interdiction de l’avortement même en cas de viol, mais il est aussi libertarien sur le plan économique, défendant des impôts bas et une politique probusiness. Cette position le rapproche davantage de la Plateforme civique de Trzaskowski que des électeurs pro-Etat-providence du PiS.
“Chacun de nos électeurs est une personne informée et rationnelle qui prendra sa propre décision sur qui voter ou s’il faut voter tout court au second tour”, a considéré Sławomir Mentzen après le scrutin de dimanche, tout en ajoutant que “j’ai l’intention d’aider nos électeurs à prendre une décision au second tour”.
Le “favori malmené”
De nombreux électeurs ont choisi des candidats qui s’opposaient fermement à l’establishment actuel, de Sławomir Mentzen à Grzegorz Braun, un agitateur antisémite, en passant par Adrian Zandberg, candidat d’extrême gauche. Ils pourraient bien rester chez eux le 1er juin plutôt que d’aller voter pour la Plateforme civique ou le PiS, les partis qui dominent la politique polonaise depuis deux décennies.
“Les électeurs ne sont pas des sacs de pommes de terre que l’on peut se refiler”, a déclaré Adrian Zandberg, qui a refusé d’afficher clairement son soutien à Rafał Trzaskowski.
“Il n’est pas certain que tout l’électorat de Mentzen et de Braun votera pour Nawrocki. Cependant, il est certain que les forces démocratiques n’ont pas d’avantage important ou de matelas de sécurité pour dormir sur leurs deux oreilles”, a estimé Aleksander Kwaśniewski, qui a été président de 1995 à 2005, la télévision publique polonaise.
La politique étrangère devrait également jouer un rôle au cours des deux prochaines semaines.
La Pologne de Tusk est devenue un acteur clé de la politique européenne après des années d’isolement sous le PiS, tandis que Karol Nawrocki est susceptible de poursuivre ses appels à transformer l’UE en une confédération plus souple d’Etats-nations.
Alors que les deux candidats soutiennent fermement l’Ukraine dans la guerre contre la Russie, Sławomir Mentzen est beaucoup plus sceptique, et ces opinions pourraient influencer les prochaines semaines de la campagne.
“Si j’ai mon mot à dire, vous ne rejoindrez jamais l’Otan, vous n’aurez pas nos soldats avec vous et vous ne bénéficierez plus d’aucune aide sociale en Pologne”, a lancé Sławomir Mentzen aux Ukrainiens au début du mois.
Malgré les vents contraires auxquels Rafał Trzaskowski est confronté, Aleks Szczerbiak l’a qualifié de “favori malmené”.
“Il est trop facile de l’écarter et beaucoup de choses peuvent se passer en deux semaines.”
Wojciech Kość a contribué à cet article depuis Varsovie.
Cet article a d’abord été publié par POLITICO en anglais et a été édité en français par Jean-Christophe Catalon.
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