Mesure-t-on la portée d’un livre à l’écume qu’il continue de produire, neuf mois après sa parution ? Depuis sa publication fin août, l’appel d’Antoine Foucher à Sortir du travail qui ne paie plus (éditions de l’Aube) infuse les cerveaux des responsables politiques en quête d’idées percutantes sur le sujet.
D’Edouard Philippe à Raphaël Glucksmann, en passant par Gabriel Attal ou les ministres Astrid Panosyan-Bouvet (Travail) et Eric Lombard (Economie), on ne compte plus les personnalités à avoir rencontré ce consultant de 45 ans. Tous veulent échanger directement avec lui sur le diagnostic implacable qu’il pose dans son livre : si les Français améliorent légèrement leur niveau de vie, avec un rythme de progression annuel “qui tangente à 1%” depuis deux décennies, il faudrait, hors héritage, “plus de 80 ans pour doubler son pouvoir d’achat en travaillant”.
Aux yeux de Foucher, la crise des Gilets jaunes a été un “symptôme avant-coureur de conflits sociaux plus graves et plus longs”. Il a d’ailleurs vécu de près l’épisode comme directeur de cabinet de Muriel Pénicaud, au ministère du Travail entre 2017 et 2020.
Sorti de la vie ministérielle depuis, ses réflexions sur la “rétrogradation du travail derrière l’héritage et la rente” ont mûri au gré de ses chroniques mensuelles pour Les Echos. Mais aussi à la faveur d’un épisode plus personnel, lorsqu’il a rencontré des difficultés à emprunter pour acheter un appartement à Paris, malgré un salaire plus que confortable, a-t-il confié à POLITICO au cours d’un déjeuner dans un restaurant du 9e arrondissement.
A ce constat, qui lui a valu des dizaines d’invitations à s’exprimer dans les médias, s’en superpose un autre, basé sur les calculs de l’Insee. Sur 100 euros gagnés, les travailleurs en conservent 54 euros en moyenne. Plus frappant encore : pour financer les dépenses croissantes de santé et de protection sociale, le travail est huit fois plus taxé que l’héritage, trois fois plus que les retraites et une fois et demie plus que les dividendes.
Un “choix implicite” en défaveur de la rémunération du travail, entériné gouvernement après gouvernement, assène Foucher.
Un public au-delà du microcosme
Depuis la publication du livre, l’homme n’édulcore pas son propos, énoncé sans détours. Il a participé à un peu moins d’une centaine de conférences. Au-delà des rencontres informelles, “beaucoup de rencontres avec des cercles spécialisés, des DRH, des retraités”, résume celui qui a été, entre autres, l’un des artisans de la réforme de l’apprentissage en 2018. Le livre s’est vendu à 8500 exemplaires, indique-t-il — un bon score pour un essai, largement plus que son premier livre sur Le monde de l’après-Covid, publié le jour de l’invasion russe en Ukraine, en février 2022.
“Il a bien posé les termes de l’équation. Il a l’habitude de défendre des positions innovantes qui sortent du conformisme sur les questions sociales”, lui reconnaît Jean-François Pilliard, l’ancien responsable du pôle social au Medef, avec lequel Foucher s’est rôdé aux négociations avec les syndicats entre 2012 et 2016.
Foucher assure son service après-vente et ne refuse jamais une consultation, jusqu’à l’Elysée où l’auteur parle “cash” avec le conseiller spécial du président, Jonathan Guémas. “Macron ? J’en ai jamais discuté avec lui bugne à bugne”, précise-t-il toutefois, quand on lui demande s’il espère voir le président piocher dans ses idées.
Au-delà du diagnostic, c’est le remède (de cheval) qu’il propose qui retient l’attention de plus d’un candidat putatif à la présidentielle de 2027 : un “big bang” de 100 milliards d’euros, via un allègement massif dans les cotisations sociales sur les cinq prochaines années. Objectif visé : une hausse sensible des salaires, sans rogner sur les acquis sociaux.
Pour financer sa proposition, Foucher cible les grandes masses des prélèvements : une hausse de la fiscalité sur les revenus du capital, sur les successions, la désindexation d’une partie des retraites et, surtout, une augmentation de la TVA, qui rapporterait, à elle seule, environ 50 milliards d’euros.
Des leviers impopulaires et électoralement sensibles, c’est peu de le dire. Mais il le sait, et “ça vole”, répète-t-il, avec le réflexe de l’ancien de cabinet ministériel, habitué à ferrailler avec Bercy.
“Beaucoup de gens sont en phase avec son diagnostic. Il y va fort. La question est ‘comment on fait’, ‘comment on le porte’”, souligne Franck Morel, secrétaire national travail et emploi chez Horizons.
Du prêt-à-penser au prêt-à-voter ?
Avec son cabinet Quintet Conseil, qui compte d’autres conseillers venus du cabinet Pénicaud, Foucher a travaillé depuis début mars à une esquisse législative en huit articles, à la demande de l’U2P, a appris POLITICO.
L’organisation patronale, qui représente les artisans, les libéraux et les petites entreprises, a dévoilé mardi 6 mai des “propositions concrètes pour mieux rémunérer le travail”. Dans le diagnostic comme les arguments de l’U2P, on entend du Foucher dans le texte. Côté mesures, la suppression progressive de la CSG et de la CRDS est sur la table, soit 116 milliards d’euros rendus aux salariés en cinq ans.
La période est propice, les idées fusent. Jusqu’au sein du gouvernement, les positionnements des uns et des autres sur l’éventuelle fin de l’abattement fiscal des retraités illustrent le déverrouillage idéologique en cours, selon lui : “J’ai l’impression qu’il y a maintenant un coût politique à ne pas demander un effort aux retraités.”
Quasiment ignoré de la gauche, c’est pourtant bien à droite et au centre que le consultant, qui confesse avoir été adhérent à En Marche les toutes premières années, est le plus sollicité pour passer en revue ses propositions en dépit de son inflammable triptyque “retraités-héritiers-rentiers”.
Dans les toutes dernières lignes de son livre, il a lui-même imaginé une voie politique : celle du référendum, précédé d’un grand débat national. Ce serait, selon lui, la seule façon de rendre acceptable ses propositions.
Une piste actuellement explorée par Emmanuel Macron, qui en a seul la prérogative. Le groupe macroniste à l’Assemblée nationale dit aussi y travailler depuis plusieurs mois et peaufine des préconisations pour favoriser un “vrai bond des revenus” via “des transferts importants”, sans plus de précisions à ce stade. Dans le camp philippiste, on temporise avant les échéances de 2027. “Pas tellement envie de faire le boulot à la place des autres, il n’y a que des coups à prendre”, commente une voix interne.
L’heure des choix
Alors, jusqu’où iront les arbitrages ? Lui-même craint déjà de voir ses propositions de transfert nettement revues à la baisse. Le scénario et le montant consolidé sont encore en cours de simulation, confirme le député macroniste David Amiel, avec qui Foucher a régulièrement échangé : “Il faut regarder les assiettes alternatives de financement, l’impact macroéconomique, le chiffrage budgétaire.”
“Tout est difficile à porter”, répond Foucher. Pour faire passer la pilule amère d’une TVA rehaussée (+4 points en moyenne), il souhaite baisser les taux sur les produits de première nécessité et sanctuariser quelques priorités stratégiques, comme la réindustrialisation et la décarbonation.
“On en a besoin pour relancer la machine économique française, pas pour nourrir celle des Chinois, sinon on risque d’aggraver le déficit commercial et la désindustrialisation.”
Foucher le sait : à droite, cette contrepartie, rapidement résumée comme une “TVA sociale”, traîne un lourd passif politique, depuis les sièges perdus aux législatives de 2007 après son évocation par Jean-Louis Borloo. “Depuis, de l’eau a coulé sous les ponts”, veut pourtant croire Franck Morel, chez Horizons, qui compare le travail de Foucher à une “stratégie des petits cailloux”.
Référendum ou pas, 100 milliards ou non, Foucher pousse déjà la contradiction et l’argument plus loin : lui ne votera pas pour un référendum sans TVA.
Et qu’on puisse un jour voter pour lui ? La proposition lui a déjà été faite, indique-t-il, sans révéler qui. Avant de se lancer, mi-amusé, dans une confession agitant ses contradictions : “Ça me travaille, c’est une question personnelle, existentielle.”
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