PARIS — Malgré la pression croissante de Berlin et de Bruxelles — et la nécessité de riposter aux attaques de Donald Trump contre le commerce international —, la France refuse toujours d’approuver l’accord commercial entre l’UE et les pays sud-américains du Mercosur.
Mi-avril, le nouveau meilleur ami d’Emmanuel Macron, le futur chancelier allemand Friedrich Merz, a assuré que le président français revenait sur son opposition au traité de libre-échange et “penchait désormais pour la ratification de l’accord avec le Mercosur”.
Une affirmation, que les autorités françaises se sont empressées de démentir, un responsable du ministère des Affaires étrangères déclarant que l’imposition par Donald Trump des droits de douane américains les plus élevés depuis un siècle “ne change rien”.
Le gouvernement français est depuis longtemps le plus farouche opposant de l’Union européenne à un traité avec le Mercosur, dont font partie des puissances agricoles, comme l’Argentine et le Brésil. Il craint qu’être inondé d’importations de bœuf et d’autres denrées alimentaires n’affaiblisse les agriculteurs tricolores, qui constituent l’un des groupes les plus puissants du pays sur le plan politique.
“Non, nous n’avons pas changé de position sur le Mercosur”, a confirmé un représentant de l’Elysée, autorisé à s’exprimer à condition de rester anonyme. “Le contenu de l’accord n’a pas changé, notamment l’absence de protection effective des filières agricoles sensibles, qui fait que l’accord reste inacceptable en l’état.”
L’opposition persistante de la France agace les partisans du libre-échange au sein de l’UE, qui estiment qu’un accord boostant les exportations de produits manufacturés vers l’Amérique du Sud pourrait être exactement ce dont le Vieux Continent a besoin, à l’heure où il cherche des partenaires commerciaux pour remplacer des Etats-Unis qui se sont lancés dans le protectionnisme.
L’accord du Mercosur devrait, après tout, créer un marché commun de près de 800 millions de personnes en supprimant la quasi-totalité des droits de douane.
Malgré ses protestations, en coulisses, la France se rend compte que l’accord controversé pourrait bientôt être approuvé, que cela lui plaise ou non.
Nouveau monde
L’accord, scellé par la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen et les dirigeants du Mercosur lors d’un sommet en décembre à Montevideo, capitale de l’Uruguay, est en train d’être traduit et a droit à un toilettage juridique avant d’être soumis au vote des Etats membres de l’UE qui devrait se tenir à l’automne.
La France a déclaré à plusieurs reprises qu’elle voterait contre. Mais les partisans du traité espèrent que la guerre commerciale avec les Etats-Unis poussera Paris à changer d’avis. Après tout, les droits de douane imposés par Donald Trump perturbent les relations commerciales avec les Etats-Unis, première destination des exportations de l’UE, et la guerre commerciale ne fait que renforcer la nécessité de trouver de nouveaux marchés à l’export.
Un signe que la France pourrait être réceptive à cet argument est venu de son ministre du Commerce extérieur, Laurent Saint-Martin, qui a considéré auprès de POLITICO que les droits de douane de Donald Trump avaient déclenché “un réveil sur les accords commerciaux”, et que la Commission avait encore le temps de modifier l’accord et de le rendre plus acceptable pour la France.
Laurent Saint-Martin a souligné que Paris ne pourrait soutenir le traité que s’il comprenait des “clauses miroirs”, qui imposeraient aux exportations sud-américaines les mêmes normes de production que celles qui s’appliquent aux agriculteurs de l’Union européenne.
“Saint-Martin est déjà en train d’atténuer le ‘non, quoi qu’il arrive’ de Paris”, estime Elvire Fabry, experte en commerce international à l’Institut Jacques-Delors.
“Compte tenu du nouveau contexte, la France serait prête à reconsidérer l’accord, modulo des garanties sur les clauses miroirs.”
En plus de la Commission et d’autres pays procommerce, les entreprises françaises augmentent elles aussi la pression sur leur gouvernement pour qu’il soutienne enfin l’accord.
Fabrice Le Saché, vice-président du Medef, a affirmé que l’exécutif adoucissait sa position sur le traité.
“Le contexte international invite encore plus à accélérer”, a-t-il estimé.
Pas de plan B ?
Mais changer de position sur l’accord avec le Mercosur serait du suicide sur le plan politique pour Emmanuel Macron et son fragile gouvernement minoritaire, l’ensemble de la classe politique et une grande partie de l’opinion s’y opposant fermement.
“La France ne peut faire un virage à 180 degrés complet sans obtenir quelques concessions pour faire évoluer le débat public en France”, commente Elvire Fabry.
Pendant des années, Emmanuel Macron et son gouvernement ont demandé à Bruxelles d’introduire des clauses miroirs. Mais la Commission s’y refuse, car elle ne veut pas rouvrir des négociations qui ont duré plus de vingt ans, surtout pour tenter d’ajouter des conditions que les pays du Mercosur ont déjà rejetées. Même les alliés d’Emmanuel Macron reconnaissent que c’est demander la lune.
“L’intégration de mesures miroirs dans l’accord Mercosur, tout le monde sait que c’est impossible”, a concédé Marie-Pierre Vedrenne, eurodéputée française du groupe Renew.
Signe que même le gouvernement français se rend compte qu’il pourrait perdre la bataille, Paris a lancé l’idée d’introduire une “clause de sauvegarde” qui permettrait à Bruxelles de plafonner automatiquement les importations de produits agricoles sensibles s’il est prouvé que les importations en provenance du Mercosur perturbent le marché européen.
Si l’accord reste en l’état, la France s’est engagée à le rejeter lors d’un vote du Conseil à l’automne. Mais Paris peine à réunir une minorité de blocage (au moins quatre pays représentant 35% de la population de l’UE), dont elle a besoin pour opposer un veto au texte, car des alliés potentiels, comme l’Italie et l’Autriche, se sont désormais engagés à le soutenir.
Mais les opposants au traité placent également leurs espoirs dans le Parlement européen, qui a lui aussi son mot à dire quand il s’agit de ratifier.
Même Arnaud Rousseau, le président de la FNSEA, reconnaît que la formation d’une minorité de blocage des Etats membres “sera peut-être difficile”, mais il espère que les agriculteurs français obtiendront gain de cause lorsque les députés européens se prononceront sur la question.
“Franchement, pour Madame von der Leyen aller au vote et le perdre, c’est la fin de son mandat”, conclut-il auprès de POLITICO.
Cet article a d’abord été publié par POLITICO en anglais et a été édité en français par Jean-Christophe Catalon.
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