Le commissaire européen chargé du Climat, Wopke Hoekstra, envisage des options pour assouplir l’objectif climatique de l’UE pour 2040, dans une tentative de contenir un backlash contre les ambitions climatiques de l’Europe.
La Commission devrait proposer dans les prochaines semaines un texte visant à adopter l’objectif, précédemment annoncé, de réduire de 90% les émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2040.
Mais pour apaiser les inquiétudes politiques concernant le coût de l’effort pour l’industrie lourde et l’agriculture, Hoekstra envisage des “flexibilités” pour atteindre cet objectif, selon une source au sein de la Commission et deux personnes au fait des discussions, à qui l’anonymat a été accordé pour révéler des détails sur des délibérations confidentielles.
Les options à l’étude vont de la possibilité pour les Etats membres de différer des réductions plus fortes de leurs émissions, à celle de comptabiliser les baisses d’émissions qu’ils paient dans d’autres pays. Une autre idée consisterait à s’appuyer davantage sur le carbone que les forêts ou des technologies peuvent éliminer de l’air.
Pour les responsables européens, cette approche est un moyen de rendre plus acceptable politiquement un objectif de plus en plus impopulaire. Et de s’assurer que le Parlement européen et les gouvernements nationaux approuveront le texte.
Mais, au sein de la société civile, certains avertissent que ces mesures pourraient également affaiblir les efforts globaux de l’UE pour éradiquer les émissions responsables du réchauffement de la planète.
Il s’agit de “propositions très dangereuses”, juge Sam Van den plas, directeur des politiques publiques de l’ONG Carbon Market Watch. “Tous ces éléments sont des distractions potentielles par rapport à la nécessité d’obtenir des réductions d’émissions immédiates. La flexibilité peut également être considérée comme une faille.”
Quatre options à l’étude
La Commission planche sur quatre options pour donner une plus grande marge de manœuvre aux pays.
Pour commencer, il est envisagé une trajectoire “non linéaire” entre l’objectif de réduction des émissions de 55% fixé par l’UE pour 2030 et celui pour 2040, plutôt qu’une trajectoire rectiligne. Cela pourrait se traduire par des réductions d’émissions plus lentes au début, compensées par des baisses rapides plus tard dans les années 2030. Cela signifierait également une augmentation de la pollution au total au cours de la décennie.
L’exécutif européen réfléchit également à permettre aux pays d’acheter des crédits carbone sur de nouveaux marchés internationaux. Les pays de l’UE pourraient ainsi financer un projet visant à réduire les émissions dans un pays — comme un programme antidéforestation ou pour rendre l’industrie plus économe en énergie — en échange de crédits qui seraient comptabilisés dans l’objectif local. Ces marchés du carbone sont considérés comme un moyen essentiel de stimuler les projets d’énergie propre dans les pays les plus pauvres, mais ils sont également critiqués pour leur difficulté à garantir que les réductions de la pollution aient bien eu lieu.
L’inclusion des crédits internationaux modifierait considérablement l’approche de l’UE en matière de changement climatique, étant donné que ses objectifs pour 2030 et 2050 sont nationaux.
Cette approche risque également d’inonder les marchés du carbone de l’UE avec des crédits internationaux, pointe Van den plas. Cela a été le cas pendant la majeure partie des années 2010, et cela a considérablement réduit le prix des émissions dans l’Union.
“Le risque de répéter les erreurs du passé est très grand”, prévient Van den plas.
Une troisième option consisterait à laisser les pays dépendre davantage des émissions négatives pour atteindre leur objectif, c’est-à-dire compter le carbone éliminé de l’air soit par les forêts, soit par les technologies naissantes de capture du CO2.
Une quatrième idée consiste à laisser les pays jouer avec des objectifs d’émissions sectoriels. Si un secteur a des difficultés à atteindre les réductions imposées, par exemple, les gouvernements pourraient prendre en compte les réductions d’une industrie qui réduit plus rapidement ses émissions.
Aucune de ces options n’est certaine de figurer dans le texte final. Mais elles sont évoquées dans les discussions entre Hoekstra et les groupes politiques, d’après notre source au sein de la Commission.
Une seconde source, proche du cabinet de Hoekstra, qui, comme d’autres, n’a pas été autorisée à discuter des délibérations internes, nous indique que : “Nous avons effectivement des conversations avec toute une série de parties prenantes et nous présenterons une proposition dans un avenir proche, mais nous ne donnerons pas d’informations sur l’avancée du processus.”
“Qui est le vrai patron ?”
Le droit européen oblige l’UE à légiférer sur l’objectif de 2040. Mais l’attention politique s’est détournée de la menace d’une catastrophe climatique pour se porter sur d’autres priorités, telles que la défense et la compétitivité de l’industrie.
Hoekstra s’efforce donc d’emprunter une voie politique, de plus en plus étroite, afin de tenir la promesse de la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, de fixer un cap pour réduire de 90% les émissions.
Il doit satisfaire les groupes du Parlement européen qui souhaitent conserver les fortes ambitions de l’UE en matière de climat — tels que les Socialistes et Démocrates, et les Verts —, tout en apaisant ceux qui veulent se concentrer davantage sur les impacts sur l’industrie, tels que le Parti populaire européen (PPE). Les représentants de ces groupes ont refusé de faire des commentaires pour cet article.
La Commission avait initialement promis de publier sa proposition de législation au premier trimestre de cette année.
Mais l’opposition à l’objectif de 90% s’est accrue. Le gouvernement italien de droite dure fait pression pour qu’il soit abaissé à 80% ou 85%.
Il n’est pas non plus certain que le nouveau gouvernement allemand soutiendra le chiffre initial. L’Union chrétienne-démocrate (CDU), qui a terminé en tête des élections fédérales du 23 février, n’a pas encore soutenu l’objectif dans les négociations de coalition avec le Parti social-démocrate (SPD), selon un projet de texte de négociation vu par POLITICO. Le SPD, cependant, fait pression pour que l’objectif fasse partie de l’accord de coalition.
La plupart des pays de l’UE soutiennent l’objectif de 90%, affirme un diplomate d’un pays européen. Mais la position de l’Allemagne restera déterminante, ajoute-t-il, d’autant plus que la CDU est le parti d’Ursula von der Leyen et de Manfred Weber, le chef du groupe PPE au Parlement européen.
Von der Leyen, souvent appelée “VDL”, est depuis longtemps en conflit avec Weber au sujet de la politique climatique de l’Union européenne.
“Le problème vient de VDL et surtout de Weber, ce qui me fait me demander qui est le véritable patron entre eux”, pointe le diplomate, dont l’anonymat a été préservé parce qu’il n’est pas autorisé à s’exprimer publiquement.
Des répercussions mondiales
Le retard sur l’objectif 2040 a pris une dimension internationale.
L’objectif — et la flexibilité qu’il autorise — alimentera les plans climatiques 2035 que l’UE et tous les pays doivent soumettre cette année dans le cadre de l’Accord de Paris. Ces plans sont connus sous le nom de contributions déterminées au niveau national, ou CDN.
Peu de pays ont respecté le délai de février fixé par les Nations unies. Le retard de l’UE, en particulier, relâche la pression pour d’autres grands pollueurs, soulève un responsable britannique, qui n’a pas été autorisé à s’exprimer, et à qui l’anonymat a été accordé.
“Ce qui s’est passé, avec les singeries des Etats-Unis, c’est que tout le monde s’est dégonflé en ce qui concerne l’élaboration de CDN ambitieux”, déplore le diplomate. “L’Inde ne va pas insister. L’Arabie saoudite non plus. Et on revient en arrière sur les dates pour soumettre les CDN, en grande partie parce que l’UE sera en retard.”
Cette semaine, Simon Stiell, le responsable des Nations unies pour le climat, a poussé l’UE à passer à l’action : “Lorsqu’il s’agit de garanties de sécurité de type économique, l’Europe n’a rien de plus fort qu’un nouveau plan national audacieux en matière de climat cette année.”
Louise Guillot et Max Griera ont contribué à cet article depuis Bruxelles.
Cet article a d’abord été publié par POLITICO en anglais et a été édité en français par Jean-Christophe Catalon.
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