PARIS — C’est une missive qui fait beaucoup jaser dans les hautes sphères économiques parisiennes. Un agent de l’ambassade étasunienne à Paris, Stanislas Parmentier, a envoyé ces derniers jours un courrier adressé à plusieurs entreprises tricolores les enjoignant de respecter le décret de Trump actant l’abandon de toute politique d’inclusion ou de lutte contre les discriminations.
L’équipe du ministre de l’Economie, prise de court par l’article des Echos révélant ce courrier, vendredi après-midi, a dégainé un bref communiqué indiquant que ces pratiques reflètent “les valeurs du nouveau gouvernement américain”, mais “ne sont pas les nôtres”. Au Commerce extérieur, Laurent Saint-Martin a dénoncé samedi des “ingérences américaines dans les politiques d’inclusion des entreprises françaises”.
Derrière ces premiers messages d’indignation, dont celui du patron des patrons Patrick Martin, Bercy et le Quai d’Orsay, en lien avec les entreprises concernées, cherchent désormais le bon degré de réponse.
Car, sur le fond, les exigences de la lettre seraient dans les clous juridiquement : “Parler de valeurs, cela veut dire qu’on n’est pas d’accord politiquement, mais aussi qu’on ne peut rien faire”, analyse Pierre Ciric, avocat au barreau de New York, sollicité par POLITICO.
Cette procédure ne relève pas “stricto sensu d’extraterritorialité”, mais rappelle “aux entreprises étrangères qui sont fournisseurs ou prestataires du gouvernement fédéral que des dispositions leur sont désormais applicables”, corrobore sous couvert d’anonymat un avocat français officiant pour le compte d’un grand cabinet américain.
La réflexion avant la réaction
Après avoir songé à répliquer par courrier auprès de son homologue américain, Eric Lombard a finalement décidé de temporiser pour réaliser un état des lieux et évaluer la portée de l’action américaine. Mis au courant de la missive par des chefs d’entreprises avant sa révélation au public, le patron de Bercy en a discuté avec l’Afep, à l’occasion d’un dîner organisé mardi soir par le lobby des entreprises privées.
Le ministre de l’Economie estime avoir besoin de comprendre l’ampleur du sujet pour que “sa réponse soit dosée au bon niveau”, nous a indiqué son cabinet dimanche soir.
Une piste est pour l’instant privilégiée : “une action coordonnée avec les autres pays” européens concernés. Les réunions de printemps de la Banque mondiale et du FMI, programmées fin avril, pourraient fournir au ministre français une fenêtre de tir pour interpeller ses homologues américains.
Le recensement des entreprises concernées est d’ailleurs encore en cours. Le ministère cherche à établir combien et quels types de boîtes sont concernées, puis doit identifier comment elles souhaitent se positionner. Pour l’heure, seules des sociétés ayant des contrats avec l’ambassade américaine à Paris — pour faire simple, des fournisseurs —, ont reçu le courrier et le formulaire l’accompagnant.
Cette politique du Département d’Etat n’est en aucun cas spécifique à la France, nous a confirmé un diplomate américain. En tout, “15 600 contrats, prêts et aides à l’étranger” ont été passés en revue par l’administration Trump. Cela expliquerait pourquoi, en France, la Fnac, par exemple, en a été destinataire, et non Saint-Gobain, Air Liquide ou encore Capgemini, pourtant très présents sur le marché américain.
La plupart des patrons digèrent en attendant la suite
Du côté du patronat, le Medef n’avait pas eu vent de la missive avant vendredi. A l’heure où son président, Patrick Martin, était dans l’avion du ministre Jean-Noël Barrot revenant de Chine, un haut gradé de l’Avenue Bosquet préférait même croire à une fake news.
“On est un peu sonné. Tous les jours, il y a des annonces trumpiennes, mais, celle-là, on ne s’y attendait pas, elle est gratinée. C’est une extension d’extraterritorialité aux valeurs des entreprises”, commente Pascal Tebibel, membre du Medef international.
A l’Afep, où l’on s’étonne de “la proportion” prise par l’affaire, aucune prise de position officielle n’est prévue. “C’est un sujet d’autorité à autorité, moins un sujet d’entreprises”, juge sa directrice générale Stéphanie Robert.
“L’idée qui prévaut dans les boîtes comme chez les patrons est une désapprobation, mais le sujet est d’abord d’expertiser les conséquences juridiques, puis de se tourner vers l’Etat afin de provoquer une réponse coordonnée, sous-entendu d’Etat à Etat, et non des réponses individuelles”, souligne une conseillère de dirigeants.
Ce n’est manifestement pas l’approche qu’adopteront toutes les entreprises.
Contacté samedi, un directeur des affaires publiques d’une grosse boîte, pour qui l’initiative “pose un sérieux problème”, nous a indiqué qu’il comptait, dès lundi, se rapprocher de l’ambassade américaine pour leur demander “quelle est l’idée” derrière cette lettre.
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