BRUXELLES — Le président américain Donald Trump agit comme s’il avait toutes les cartes en main dans les négociations pour mettre fin à la guerre en Ukraine.
Mais Bruxelles a une arme secrète de 200 milliards d’euros dans sa manche.
Après avoir été exclus des discussions entre les Etats-Unis et la Russie le 18 février sur la fin de la guerre en Ukraine, les gouvernements européens pourraient employer les grands moyens : saisir les actifs souverains russes qui ont été immobilisés après le début de l’invasion de l’Ukraine par Moscou il y a trois ans.
Chance pour l’UE, elle se taille la part du lion : environ 200 milliards d’euros de ces fonds sont détenus par l’institution financière Euroclear, basée à Bruxelles, et rapportent des intérêts. Les Etats-Unis, quant à eux, ne détiennent “que” 5 milliards de dollars.
La saisie de ces actifs est une option radicale qui garantirait presque certainement à l’Europe une meilleure place à la table des négociations, après qu’elle en a été exclue par les Etats-Unis et le Kremlin lors de leurs récents pourparlers à Riyad, en Arabie saoudite.
Toutefois, alors que les ministres des Finances et les banquiers centraux se réunissent en Afrique du Sud cette semaine pour le G20, les gouvernements européens restent divisés sur la question de savoir si le dégel de ces fonds prouverait à Trump que l’UE a encore du poids — ou si cela se retournerait contre elle.
Monnaie d’échange
Face à la menace imminente d’un désengagement américain de l’Ukraine, les partisans d’une ligne dure face à la Russie soutiennent que dégeler cet argent et le verser à Kiev lui permettraient de prendre le dessus sur le champ de bataille et de résister aux demandes de Trump de mettre fin à la guerre.
“[Avec les avoirs russes gelés,] nous pouvons remplacer le soutien américain si les Etats-Unis sont toujours sur le point de décider de ne plus soutenir l’Ukraine”, a déclaré lundi le ministre estonien des Affaires étrangères, Margus Tsahkna.
“Nous avons 300 milliards d’euros d’avoirs russes gelés en Europe et nous devons les utiliser”, a poursuivi Tsahkna devant des journalistes à Bruxelles, aux côtés de ses homologues du Danemark, de la Suède, de la Lituanie et de la Lettonie. (Bien que le montant exact des avoirs russes gelés en Europe ne soit pas clair, il est généralement admis que ce chiffre est plus proche de 200 milliards d’euros que de 300 milliards.)
Les pays baltes et nordiques, voisins de la Russie, estiment que l’argent devrait être remis immédiatement à l’Ukraine. Cette position est soutenue par la Pologne, la République tchèque et la plus haute diplomate de l’UE, l’ancienne Première ministre estonienne, Kaja Kallas.
“Je n’accepte pas l’argument selon lequel ce serait problématique d’un point de vue légal […] nous avons besoin de volonté politique pour le faire”, a considéré le ministre lituanien des Affaires étrangères, Kęstutis Budrys, lors d’un entretien avec POLITICO. Lui estime que les gouvernements européens réfractaires à cette idée “doivent produire des arguments plus solides pour expliquer pourquoi nous ne le faisons pas”.
Mais le camp adverse comprend les plus grands pays de l’UE — la France, l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne et la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen. Eux craignent que confisquer ces fonds effraie les investisseurs internationaux et prive l’Union de son plus grand avantage dans les négociations de paix.
“Si vous débloquez [les actifs] et les donnez à l’Ukraine, vous ne les avez plus et vous ne pouvez pas les utiliser comme monnaie d’échange”, pointe un diplomate européen du camp des réfractaires à qui, comme d’autres personnes citées dans cet article, l’anonymat a été accordé pour discuter de sujets sensibles.
Lors d’une rencontre avec Trump dans le Bureau ovale lundi, Emmanuel Macron a insisté sur le fait que les alliés occidentaux pouvaient légalement utiliser les intérêts générés par les actifs pendant la guerre, mais il a insisté sur le fait qu’il serait illégal de saisir les réserves elles-mêmes. Il a toutefois fait remarquer que leur gel constituait un levier important dans les discussions.
“Cela fait partie de la négociation à la fin de la guerre”, a souligné le président français.
Kaja Kallas a elle-même admis que les chances de confisquer les fonds russes dans un avenir proche étaient minces.
“Nous avons besoin du soutien de tous pour le faire. Jusqu’à présent, ce n’est pas le cas”, a-t-elle acté lors d’une conférence de presse lundi.
Les actifs gelés comme levier de négociation
Le camp du “non” fait valoir que le déblocage immédiat des fonds affaiblirait l’influence de l’UE dans les négociations de paix avec la Russie.
A la suite de sa rencontre avec le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, à Riyad la semaine dernière, le secrétaire d’Etat américain Marco Rubio a laissé entendre que l’UE devrait participer, “à un moment ou à un autre”, aux pourparlers de paix, du fait des sanctions qu’elle a imposées à la Russie.
Les pays européens reconnaissent que les milliards d’euros d’avoirs russes gelés leur donnent une influence supplémentaire sur le Kremlin.
“Si [la Russie] veut absolument récupérer l’argent, elle doit donner quelque chose en échange”, explique le diplomate européen cité plus haut.
Bien que l’Estonien Tsahkna soit favorable à ce que cet argent soit remis directement à Kiev, son gouvernement a reconnu l’avantage de conserver les fonds comme un levier de négociation. Dans un document destiné à préparer une réunion des ministres des Affaires étrangères de l’UE lundi, vu par POLITICO, Tallinn a écrit que “la rétention continue des actifs sert de levier financier et diplomatique, garantissant que la Russie a une incitation claire et tangible à négocier un accord et à dédommager l’Ukraine”.
Les 27 dirigeants de l’UE ont également inscrit dans la loi que les avoirs resteront gelés jusqu’à ce que la Russie accepte de payer à l’Ukraine les réparations d’après-guerre.
Les pays considèrent la réserve de 200 milliards d’euros comme une aubaine pour couvrir les coûts exorbitants de la reconstruction de l’Ukraine, estimés à 486 milliards de dollars par la Banque mondiale.
“Nombreux sont ceux qui s’opposent au dégel parce qu’ils considèrent qu’il s’agit d’argent pour la reconstruction”, glisse un second diplomate de l’UE.
Alors que des discussions sont en cours avec les Etats-Unis, la Russie s’est montrée réceptive à l’idée, à condition que le financement couvre également la reconstruction des régions ukrainiennes sous le contrôle de Moscou, selon Reuters.
L’année dernière, le G7 a conclu un accord de haute lutte pour utiliser les intérêts générés par les actifs afin de garantir un prêt de 50 milliards de dollars à l’Ukraine.
Les ministres des Finances du G7 se réuniront à nouveau au Cap mercredi et jeudi, dans le cadre du G20, pour discuter de leur futur soutien à l’Ukraine.
Nicholas Vinocur et Giorgio Leali ont contribué à cet article.
Cet article a d’abord été publié par POLITICO en anglais et a été édité en français par Jean-Christophe Catalon.
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