PARIS — La nouvelle croisade d’Emmanuel Macron contre les règles européennes en matière d’écologie suscite l’indignation, même parmi ses alliés.
Des poids lourds du camp présidentiel s’élèvent contre la volonté de l’exécutif d’édulcorer les futures règles de l’Union européenne, imposant aux entreprises de rendre compte de leur empreinte environnementale et des potentielles violations des droits de l’homme dans leurs chaînes d’approvisionnement.
Ils se plaignent que la France a trahi sa réputation d’être l’un des pays d’Europe les plus proécologies et avertissent que céder à la pression antirégulation verte de grandes entreprises et de pays extérieurs à l’UE, notamment les Etats-Unis, ne servira les intérêts ni de l’Hexagone ni du Vieux Continent à long terme.
“Je pense qu’on se trompe de cible”, considère Olivia Grégoire auprès de POLITICO. La députée Ensemble pour la République (EPR, ex-Renaissance) défend la CSRD, la directive européenne sur les rapports de durabilité des entreprises, qui exige que les entreprises divulguent leur impact sur l’environnement et leur exposition aux risques du changement climatique. La France a fortement soutenu le texte jusqu’à récemment.
“Ma crainte c’est le reniement, ma crainte c’est de penser une minute avec naïveté qu’on pourra confronter la nouvelle économie américaine avec les outils qu’elle utilise elle-même”, expose Olivia Grégoire, qui a négocié la CSRD à Bruxelles lorsqu’elle était ministre.
Dans une note confidentielle, révélée le mois dernier par POLITICO, la France a exhorté la Commission européenne à retarder indéfiniment une nouvelle directive européenne sur le devoir de vigilance des entreprises (CSDDD ou CS3D) et à retarder la CSRD de deux ans — en élargissant la législation “omnibus” proposée par la Commission pour simplifier ces deux lois, qui doit être publiée le 26 février.
Paris affirme aujourd’hui que l’Europe se tire une balle dans le pied en demandant aux entreprises de se conformer à des règles écologiques plus ambitieuses.
Cette pression a atteint son apogée avec l’appel lancé par Emmanuel Macron en janvier en faveur d’une “pause réglementaire massive”, décrivant les règles à venir comme une menace pour l’économie européenne en difficulté.
“Nous avons, nous-mêmes, porté certaines régulations avec de très bonnes intentions, et j’en partage la philosophie. Mais dans le moment que nous vivons, nous devons, en quelque sorte, savoir les suspendre tant qu’on n’a pas retrouvé, la capacité à rentrer dans la compétition”, a déclaré le président devant les ambassadeurs français.
Son revirement se reflète dans la nouvelle voie tracée par la Commission, qui, depuis les élections européennes de l’année dernière, s’est détournée de l’élaboration de politiques vertes pour se concentrer sur la politique industrielle probusiness, dont font partie les mesures de réduction de la bureaucratie telles que le paquet omnibus. Ce changement est perçu par beaucoup comme une capitulation devant les forces de droite, qui se développent dans toute l’Europe, et perturbe les alliés libéraux de Macron.
“Ne cédons pas au populisme qui consisterait à penser, comme l’extrême droite d’ailleurs, que dès que c’est une norme, vous le shootez”, défend Olivia Grégoire, avertissant que si l’Europe ne s’en tient pas à ses normes de reporting vert, elle finira par obéir à celles imposées par d’autres puissances, telles que Washington. Le nouveau président américain Donald Trump a rejeté en bloc les programmes environnementaux de son prédécesseur, Joe Biden.
“Nous ne voyons aucune raison de reporter”, a tranché l’eurodéputé Pascal Canfin, membre de Renew, ajoutant que la position de son groupe était “oui à la simplification, mais non au report”.
Du “trumpisme light”
La France a été l’un des premiers pays de l’UE à adopter une loi sur le devoir de vigilance des entreprises en 2017. Paris a fièrement présenté la directive de Bruxelles — qui oblige les entreprises à vérifier que leurs fournisseurs respectent les règles en matière environnementale et de travail forcé — comme une version européenne de son texte.
Lorsque la France a pris la tête de la présidence tournante du Conseil de l’Union européenne en 2022, les ministres français et même Emmanuel Macron ont placé la directive sur le devoir de vigilance et la CSRD parmi leurs priorités en matière économique. Cependant, même à ce moment-là, certains ont accusé la France de ne pas être aussi favorable au texte qu’elle le prétendait en public. (Par exemple, Paris et d’autres gouvernements ont réussi à exempter le secteur financier du devoir de vigilance.)
Mais comme les grandes entreprises européennes se plaignent que l’excès de réglementation les pénalise par rapport à leurs concurrentes, en particulier aux Etats-Unis et en Chine, le gouvernement français s’est aligné sur leurs arguments.
Un lobbyiste de l’industrie tricolore directement au fait des négociations, à qui l’on a accordé l’anonymat pour qu’il puisse s’exprimer librement, se dit “positivement surpris” par l’évolution de la position française et que l’Elysée avait joué un rôle clé dans ce changement. Pour les alliés d’Emmanuel Macron, cependant, la surprise a été moins bien accueillie.
“C’est la France qui a défendu et obtenu ces avancées au niveau européen ces dernières années. Amorcer un mouvement dans lequel nous irions défaire des réglementations et des normes n’est pas acceptable”, a estimé en janvier Pieyre-Alexandre Anglade, président EPR de la commission des Affaires européennes de l’Assemblée nationale.
Clément Beaune, qui était ministre de l’Europe pendant la présidence française de l’UE, a également critiqué cette décision, mettant en garde contre les dangers de voir l’Europe et la France flirter avec un “trumpisme light”.
Changement de politique
Le changement de cap de la France a été progressif et a suivi la montée des forces populistes antiécologistes dans toute l’Europe. Lorsqu’Emmanuel Macron a appelé à une “pause réglementaire” en 2023, ses propos ont été perçus comme un clin d’œil aux partis conservateurs et aux électeurs, quelques mois avant les élections européennes au cours desquelles les partis de droite ont gagné du terrain.
Ces commentaires ont contraint l’Elysée à préciser que le président ne remettait pas en cause les textes déjà adoptés ou en cours de négociation, tels que la CSRD et la directive sur le devoir de vigilance.
Mais le mois dernier, lorsqu’il a persisté et signé, appelant à une “pause réglementaire massive”, il n’était pas nécessaire d’expliquer sa pensée, car il était clair que la France remettait déjà en cause des éléments clés du Pacte vert de l’UE.
Les plaintes de plus en plus nombreuses émanant de puissants lobbies d’entreprises, ainsi que la montée des forces politiques de droite qui critiquent les règles écologiques de l’UE, ont contribué au changement de position de la France, décrypte Phuc-Vinh Nguyen, directeur du Centre énergie de l’Institut Jacques-Delors.
Les responsables français soulignent toutefois que le contexte géopolitique, où les entreprises européennes s’efforcent de rivaliser avec leurs concurrentes américaines et asiatiques, est le principal moteur de ce changement.
“Il y a eu beaucoup de changements de contexte, mais également un constat objectif, fait aussi dans les rapports Letta et Draghi, sur le fait que l’appétit européen pour la réglementation est devenu aujourd’hui un obstacle à la compétitivité”, rappelle un diplomate français, faisant référence aux rapports sur la compétitivité de l’UE et le marché unique, rédigés l’année dernière par les anciens Premiers ministres italiens Mario Draghi et Enrico Letta.
Certains estiment que la nouvelle position de la France montre simplement qu’Emmanuel Macron ne s’est jamais pleinement engagé dans la lutte pour des standards écologiques plus élevés.
“Lorsqu’il était consensuel de créer un momentum politique, il a joué un rôle moteur dans la promotion de standards écologiques plus élevés. [Mais] lorsque le contexte politique a changé, la position de Macron a changé, même si elle était en contradiction directe avec ses positions passées”, analyse Nguyen.
“Il est allé là où le vent soufflait.”
Sofiane Zaizoune a contribué à cet article.
Cet article a d’abord été publié par POLITICO en anglais et a été édité en français par Jean-Christophe Catalon.
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