BRUXELLES — Les défenseurs du libre-échange dans l’UE peuvent se réjouir : la Commission européenne est sur le point de serrer la main des pays d’Amérique latine pour un accord commercial en gestation depuis plus de vingt ans.
Les négociations avec les pays du Mercosur — qui regroupe l’Argentine, le Brésil, le Paraguay, l’Uruguay et la Bolivie — sont presque finalisées, Bruxelles prévoyant d’annoncer la conclusion de l’accord dès cette semaine, sauf surprise de dernière minute, lors d’un sommet des nations latino-américaines en Uruguay.
Les négociateurs en chef des deux parties s’étant rencontrés au Brésil la semaine dernière, les discussions techniques sont pour l’essentiel terminées, ont indiqué à POLITICO des personnes proches du dossier, quelques sujets attendent encore une validation au plus haut niveau politique.
Trois jours seulement après avoir pris ses fonctions, Maroš Šefčovič, le nouveau commissaire européen au Commerce, a des “contacts supplémentaires avec ses homologues, également dans les prochaines heures”, a indiqué Sabine Weyand, la cheffe de la DG Commerce, aux eurodéputés mardi, confirmant des informations de POLITICO.
A première vue, l’Allemagne — et sa représentante à la Commission européenne, Ursula von der Leyen — pourrait être sur le point de remporter une grande victoire. Cela créerait en même temps un précédent gênant pour Paris, qui a rarement été mis en minorité sur la scène européenne.
Le “sommet du Mercosur de vendredi à Montevideo est probablement la dernière opportunité pour cela et finaliser [l’accord] maintenant ce serait gagnant-gagnant pour les deux parties. La présidente de la Commission dispose d’un mandat total pour ce faire et devrait, selon nous, l’utiliser en conséquence”, a déclaré mardi la ministre allemande des Affaires étrangères, Annalena Baerbock.
L’accord commercial, fortement critiqué par des groupes petits mais influents, tels que les agriculteurs et les ONG, a cristallisé les tensions entre les pays de l’UE. Berlin et 10 autres capitales européennes souhaitent sceller l’accord le plus rapidement possible, pour diverses raisons économiques et géopolitiques, qu’il s’agisse d’opportunités d’exportation pour relancer une industrie automobile allemande en perte de vitesse ou de contrer l’influence grandissante de la Chine dans la région.
Paris s’y oppose
De son côté, la France s’oppose catégoriquement à l’accord, estimant qu’il sacrifie ses agriculteurs durement éprouvés aux intérêts industriels de l’Allemagne.
Distrait par la tempête politique interne, et avec un gouvernement au bord de l’effondrement en raison d’une crise budgétaire, Emmanuel Macron s’est efforcé de rallier suffisamment de gouvernements européens pour s’opposer à l’accord.
Le gouvernement de Michel Barnier pourrait être renversé dès mercredi après-midi si les députés de l’opposition de gauche et d’extrême droite unissent leurs forces lors du vote d’une motion de censure.
“L’accord avec le Mercosur est un outil crucial pour l’autonomie stratégique de l’UE et permettrait de concrétiser sur de nombreux fronts un concept par ailleurs cher à Paris et à Macron”, souligne un diplomate européen, faisant référence à l’impératif selon lequel l’UE ne doit pas dépendre de puissances rivales pour les secteurs stratégiques.
Un responsable français indique espérer que von der Leyen attende encore avant de valider l’accord, compte tenu de la situation politique compliquée que connaît l’Hexagone.
Paris a engrangé des victoires récemment. La Chambre des représentants néerlandaise s’est prononcée contre l’accord du Mercosur mardi, trois des quatre partis au pouvoir s’y opposant. La Pologne a fait volte-face la semaine dernière en rejoignant le camp des opposants. L’Autriche et l’Irlande sont traditionnellement plus prudentes à l’égard de l’accord, tandis que plusieurs pays, dont la Belgique, n’ont pas encore pris leur décision. La France tente également de convaincre l’Italie, partisane de longue date du deal, de rejoindre son camp en raison des inquiétudes des agriculteurs.
A l’heure actuelle, Paris est de plus en plus près d’obtenir un soutien suffisant pour bloquer l’accord, ce qui nécessiterait l’appui de pays représentant 35% de la population de l’UE.
La France s’oppose également au fait que les producteurs du Mercosur ne soient pas soumis aux mêmes normes sanitaires et agricoles que leurs homologues européens. Un récent audit de la Commission n’a fait que renforcer cet argument, en constatant que les autorités brésiliennes ne peuvent pas garantir que les exportations de bœuf du pays ne sont pas traitées par des hormones stéroïdiennes interdites.
“Nous protégeons nos secteurs sensibilités, en particulier dans l’agriculture. Les normes sanitaires de l’UE ne sont pas négociables et seront maintenues par cet accord”, a déclaré Sabine Weyand mardi.
“Les quotas limités pour les produits agricoles sensibles à des taux de droits de douane inférieurs ont été très soigneusement calibrés pour éviter de déstabiliser les marchés de l’UE. Non seulement ils seraient introduits progressivement, mais la Commission pourrait prendre des mesures pour les suspendre si de graves déséquilibres de marché sont identifiés dans l’UE”, a-t-elle ajouté, en utilisant une formulation qui semble avoir été taillée pour rassurer les eurodéputés français.
Koen Verhelst a contribué à cet article.
Cet article a d’abord été publié par POLITICO en anglais et a été édité en français par Jean-Christophe Catalon.
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