KIEV — L’invasion de l’Ukraine par la Russie dure depuis plus de mille jours et a fait plus d’un million de morts et de blessés, et aucun des deux camps n’est près d’atteindre ses objectifs de guerre.
Avec l’entrée en fonction de Donald Trump le 20 janvier, la pression se fait de plus en plus forte pour trouver un moyen de mettre fin aux combats.
Le plan initial de Vladimir Poutine, qui consistait à marcher sur Kiev, à installer un régime fantoche et à s’emparer d’une partie de l’Ukraine, s’est enlisé dans des années de combats sanglants. En face, Volodymyr Zelensky est également très loin de son espoir de rétablir ses frontières internationalement reconnues.
“Notre armée manque de force pour le faire”, a déclaré dimanche le président ukrainien à l’agence de presse japonaise Kyodo. Et d’ajouter : “Nous devons trouver des solutions diplomatiques.”
L’Ukraine perd lentement du terrain face aux attaques incessantes de la Russie, son réseau énergétique est en lambeaux, de nombreuses villes de l’Est sont en ruines et des millions de personnes sont réfugiées, tandis que la Russie subit des pertes militaires record, qu’elle est frappée par des sanctions internationales de plus en plus sévères et que son économie est en difficulté.
Mais la recherche d’un accord de paix faisable se heurte à des enjeux différents. Pour Poutine, c’est une guerre par choix ; pour l’Ukraine, elle est existentielle.
“Malgré l’épuisement, nous sommes prêts à poursuivre le combat. Les Russes sont maintenant à l’offensive, ils n’ont pas besoin de négociations. Leur seul objectif reste de détruire notre pays et notre peuple”, a affirmé le soldat ukrainien Vitaly Ovcharenko à POLITICO. “Nous n’avons pas d’autre choix que de nous battre. Donnez-nous enfin assez d’armes !”
POLITICO a examiné quelques-unes des principales idées pour mettre fin aux combats.
Les objectifs de l’Ukraine
Pour Kiev, l’objectif central est de rétablir les frontières du pays telles qu’elles étaient avant 2014, ce qui signifie reprendre le contrôle des villes de l’Est comme Donetsk et Lougansk, et de la Crimée. Le gouvernement ukrainien souhaite également obtenir des garanties de sécurité — sous la forme d’une adhésion à l’Otan ou d’autres modalités solides de la part de ses alliés — afin de s’assurer que le Kremlin n’attaque pas à nouveau.
“Si le conflit est gelé sans position forte pour l’Ukraine, alors Poutine reviendra dans deux, trois, cinq ans… il reviendra et nous détruira complètement”, a prévenu Volodymyr Zelensky lors d’une conférence de presse dimanche.
En octobre, le président ukrainien a présenté son plan de victoire en cinq points : inviter son pays à rejoindre l’Otan ; plus d’armes sans restriction d’utilisation ; être capable de dissuader une future attaque russe ; développer les ressources économiques de l’Ukraine avec ses alliés ; et le renforcement de la sécurité de l’Europe après la guerre.
Zelensky propose également un plan de paix en 10 points couvrant des questions, telles que la sécurité nucléaire, la sécurité alimentaire et énergétique, la libération de tous les prisonniers, le rétablissement des frontières, le retrait des troupes russes, la condamnation des crimes de guerre, la protection de l’environnement, les garanties de sécurité et la signature d’un traité mettant fin au conflit.
Réactions :
Zelensky a fait le tour du monde pour présenter ses projets et a reçu les encouragements chaleureux de nombreux responsables européens, américains et d’autres pays alliés. Toutefois, l’Otan ne lui a toujours pas lancé d’invitation à rejoindre l’alliance.
Le Kremlin s’inquiète des appels de plus en plus nombreux à mettre fin aux combats.
“Nous sommes préoccupés par ce que nous entendons maintenant, de plus en plus souvent ces derniers temps, en Occident : à Bruxelles, à Londres, à Paris, à Washington, on commence à parler d’un cessez-le-feu comme d’un moyen pour donner un répit à l’Ukraine et pour se donner l’occasion de gaver à nouveau l’Ukraine avec des armes modernes à longue portée. Ce n’est certainement pas la voie de la paix”, a déclaré le ministre des Affaires étrangères Sergueï Lavrov à Moscou lundi, lors d’une visite de son homologue hongrois Péter Szijjártó.
Les objectifs de la Russie
Les objectifs de guerre officiels de la Russie n’ont pas bougé depuis le 24 février 2022.
Les conditions posées par Moscou équivalent à une capitulation de Kiev. L’Ukraine devrait se retirer des zones revendiquées par la Russie, renoncer à son intention de rejoindre l’Otan, devenir un pays neutre, garantir des droits aux russophones, se démilitariser et se “dénazifier”.
L’Occident doit lever toutes les sanctions et supporter le fardeau financier de la reconstruction de l’Ukraine.
“Pour nous, il n’y a absolument aucune alternative à la réalisation de nos objectifs. Dès que ces objectifs seront atteints d’une manière ou d’une autre, l’opération militaire spéciale sera terminée”, a déclaré le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, fin septembre.
Réactions :
La Russie est fortement soutenue par des alliés, tels que l’Iran, la Corée du Nord, la Syrie et le Belarus. Cependant, les forces de Poutine devront vaincre militairement l’Ukraine avant de pouvoir mettre en œuvre tous ces objectifs.
Ce que Trump veut
Donald Trump s’est engagé à mettre fin au conflit dans la journée suivant son entrée en fonction. Il a nommé le général à la retraite Keith Kellogg en tant qu’envoyé spécial pour la Russie et l’Ukraine, avec pour mandat de négocier une trêve.
En juillet, Kellogg a présenté à Trump un plan comprenant des ultimatums pour Kiev et Moscou afin de les forcer à négocier. Les Etats-Unis continueraient à fournir des armes à l’Ukraine seulement si elle accepte de discuter avec la Russie et met en suspens son adhésion à l’Otan en échange d’un accord sur la sécurité. Tout refus russe de négocier entraînerait une augmentation du soutien militaire américain.
Kellogg a également exposé son point de vue dans une tribune publiée en avril, dans laquelle il indiquait que les sanctions contre la Russie seraient levées après la signature d’un accord de paix satisfaisant pour l’Ukraine. Une taxe sur les exportations d’énergie russe permettrait de financer la reconstruction de l’Ukraine. Il ne lui serait pas demandé de renoncer à récupérer les territoires occupés, mais elle accepterait de le faire par la seule voie diplomatique.
Réactions :
Pour l’instant, Kiev ne commente aucun des projets de l’équipe Trump.
La Russie a déclaré publiquement qu’elle était ouverte aux idées du prochain président américain.
Cependant, Konstantin Malofeev, un oligarque russe qui fait l’objet de sanctions occidentales, a déclaré au Financial Times que Poutine rejetterait probablement tout plan proposé par Kellogg, à moins qu’il ne tienne compte des préoccupations plus larges de la Russie en matière de sécurité. “Kellogg vient à Moscou avec son plan, nous le prenons, et puis nous lui disons d’aller se faire voir, parce que nous n’aimons rien de tout cela. Ce serait cela la négociation.”
Le plan Brésil-Chine
La Chine et le Brésil ont présenté en mai leur proposition commune pour des négociations de paix.
Leur initiative prévoit le gel des fronts militaires, et qu’il n’y ait pas d’escalade ni de provocation ; un dialogue direct et une désescalade en vue d’un cessez-le-feu qui serait suivi d’une conférence internationale pour la paix ; une aide humanitaire et l’échange de prisonniers de guerre, le non-recours aux armes de destruction massive ; ne pas attaquer les centrales nucléaires ; et le renforcement de la coopération internationale.
Réactions :
Un groupe de 17 pays a rejoint l’initiative sino-brésilienne. Parmi eux, seule la Turquie est membre de l’Otan.
La première réaction de Zelensky a été de qualifier le plan de “destructeur”, parce qu’il n’exigeait pas le retrait des forces russes. Toutefois, son chef de cabinet, Andriy Yermak, a déclaré en octobre que Zelensky serait prêt à incorporer des éléments dans les propres efforts de l’Ukraine.
Côté russe, Lavrov a déclaré à l’ONU : “Les dispositions proposées par la Chine et le Brésil contiennent tous les mots justes, tels que des appels à la paix, à la justice et au respect du droit international. Personne ne le conteste. Comment, exactement, ils comptent aller vers la paix, je n’en ai pas encore été informé.”
Autres idées
Les responsables publics évoquent également d’autres idées pour mettre fin à la guerre. Il ne s’agit peut-être pas de plans de paix à proprement parler, mais plutôt d’une façon de réfléchir à la manière dont les relations entre l’Ukraine et la Russie pourraient être structurées afin de mettre un terme définitif aux combats.
Le modèle israélien
Face à la résistance de pays comme l’Allemagne à accorder rapidement à l’Ukraine le statut de membre de l’Otan, des diplomates occidentaux, et même le président américain Joe Biden, ont émis l’idée de copier le modèle israélien. Jérusalem ne fait pas officiellement partie d’une alliance de défense comme l’Otan ; mais c’est un allié proche des Etats-Unis et de nombreux pays européens, qui lui fournissent des quantités massives d’armes et lui apportent également un soutien diplomatique. Israël a également développé sa propre industrie d’armement, qui est la plus performante au monde.
Cette solution présente l’avantage de ne pas lier l’Ukraine à une alliance qui pourrait entraîner d’autres pays dans une guerre avec la Russie et son arme nucléaire.
Toutefois, ce modèle présente des inconvénients considérables. L’Ukraine risquerait de devenir un pays vivant en permanence sous la menace d’une guerre. Si cela n’a pas empêché Israël de devenir une réussite économique, l’ampleur de la menace à laquelle est confrontée Kiev est bien plus grande et pourrait faire fuir les investisseurs, laissant l’Ukraine comme un pays fragile incapable de se suffire à lui-même. Cette situation serait atténuée si l’UE permettait à l’Ukraine d’adhérer à l’Union, ce qui se heurte également à de nombreux obstacles.
Une Ukraine instable et lourdement armée pourrait être dangereuse. “Comment pouvons-nous armer jusqu’aux dents un pays qui se trouve à nos frontières sans savoir qui sera son futur dirigeant et s’il restera notre partenaire ?”, s’interroge un diplomate de l’UE.
L’Ukraine préférerait de loin faire partie de l’Otan ou obtenir de solides garanties de sécurité de ses alliés.
La porte-parole du ministère russe des Affaires étrangères, Maria Zakharova, a averti que fournir des armes à l’Ukraine “peut potentiellement entraîner une escalade incontrôlable”.
Le modèle allemand
Les pays nordiques ont suggéré que le découpage de l’Allemagne pendant la guerre froide, avec la partie Ouest du pays qui avait rejoint l’Otan, alors que la partie Est était sous contrôle soviétique, pourrait devenir un modèle pour l’Ukraine. La partie Ouest de cette dernière serait alignée sur l’Occident et pourrait adhérer à l’Otan, tandis que les provinces de l’Est occupées par la Russie resteraient (pour l’instant) à l’écart.
C’est l’idée que Zelensky semble désormais soutenir. “Si nous voulons arrêter la phase chaude de la guerre, nous devons placer sous le parapluie de l’Otan le territoire de l’Ukraine que nous contrôlons”, a-t-il déclaré à Sky News au cours du week-end.
Le Kremlin est catégorique : aucune partie de l’Ukraine ne peut rejoindre l’alliance. La présence de Kiev au sein de l’Otan constitue “une menace inacceptable pour l’existence de la Russie”, a tranché Peskov.
Le modèle finlandais
Attaquée par l’URSS en 1939, la Finlande a dû céder une partie de son territoire et accepter de rester neutre pour éviter d’être complètement engloutie par Moscou. Le pays a continué à faire partie de l’Ouest pendant la guerre froide, mais avec une souveraineté circonscrite et une économie liée à l’Union soviétique. La Finlande a finalement renoncé à sa neutralité l’année dernière et a rejoint l’Otan en réponse à l’invasion de l’Ukraine par la Russie.
L’idée circule dans certains think tanks et a connu un début de popularité à Berlin, même si les responsables allemands prennent aujourd’hui leurs distances avec le concept.
Le problème ? La Finlande pense que c’est une très mauvaise idée.
“L’Ukraine était neutre avant d’être attaquée par la Russie. Ce n’est certainement pas quelque chose que j’imposerais à l’Ukraine. Certainement pas comme première alternative”, a fait savoir le mois dernier la ministre finlandaise des Affaires étrangères, Elina Valtonen.
Cet article a d’abord été publié par POLITICO en anglais et a été édité en français par Jean-Christophe Catalon.
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