BRUXELLES — Ursula von der Leyen fait pression sur les pays de l’UE pour qu’ils nomment des femmes pour la prochaine Commission européenne, afin d’éviter l’humiliation potentielle de présenter une équipe dominée par des hommes.
Deux sources haut placées dans les instances européennes ont souligné le risque d’“embarras” pour une institution qui promeut publiquement l’égalité entre les hommes et les femmes et a un poste de “commissaire à l’Egalité”, si Ursula von der Leyen n’atteint pas la parité.
Selon elles, un tel échec risquerait d’éclipser le fait que trois des postes les plus importants de l’UE seront occupés par des femmes : von der Leyen en tant que présidente de la Commission européenne, la nomination par l’Estonie de Kaja Kallas à la tête du service diplomatique de l’UE, et la présidente du Parlement européen, Roberta Metsola.
Au cours de son premier mandat à la tête de l’exécutif bruxellois, Ursula von der Leyen a dû faire face à de nombreuses crises, notamment une pandémie et l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Aujourd’hui, la femme politique la plus puissante d’Europe est confrontée à un défi inattendu, alors qu’elle constitue son équipe de 26 commissaires issus des Etats membres de l’Union européenne : atteindre la parité hommes-femmes. A l’heure actuelle, neuf femmes ont été proposées par les capitales nationales, sans compter von der Leyen elle-même.
Les experts et les responsables politiques qui sont en accord avec la demande de l’Allemande estiment que sa Commission pourrait s’avérer moins collégiale et, en fin de compte, moins efficace en raison de l’absence d’un nombre suffisant de femmes autour de la table.
“Malheureusement, l’égalité entre les femmes et les hommes est encore considérée comme facultative, ou comme quelque chose de jetable”, déplore Jéromine Andolfatto, chargée de mission des politiques et des campagnes au Lobby européen des femmes.
Signe que von der Leyen s’efforce de se rapprocher le plus possible de la parité, la Belgique a indiqué lundi qu’elle enverrait une femme commissaire, tandis que la Roumanie a accepté de remplacer son candidat masculin par une femme.
Trois diplomates qui ont parlé à POLITICO ont déclaré qu’Ursula von der Leyen faisait pression sur au moins cinq petits pays de l’UE, dont la Slovénie et Malte, pour qu’ils envisagent de désigner des femmes à la place de leurs candidats masculins. L’anonymat a été garanti à ces diplomates, tout comme les autres personnes citées dans cet article, afin qu’ils puissent parler librement des délibérations confidentielles entre le cabinet de la présidente de la Commission et leurs gouvernements.
Ursula von der Leyen a exhorté Malte de proposer de prolonger le mandat de son commissaire actuel, Helena Dalli, plutôt que d’envoyer Glenn Micallef, l’homme désigné par le Premier ministre Robert Abela, d’après deux diplomates européens. Mais Abela ne changerait pas d’avis sur l’envoi de Micallef parce que “cela saperait son autorité”, selon un troisième diplomate de l’UE.
Le fait qu’un changement de candidat soit motivé par le sexe ne serait “pas bien perçu par le gouvernement et les Maltais en général”.
“Il s’est avéré très utile d’avoir un équilibre entre les hommes et les femmes au sein du collège et c’était faire preuve d’une grande clairvoyance que de le demander”, a estimé Věra Jourová, la commissaire tchèque sortante qui était une alliée de von der Leyen au cours du mandat précédent.
Proposer deux noms : la consigne pas respectée
D’autres diplomates, personnes haut placées dans les instances européennes et experts ont également mis en garde contre le fait que von der Leyen avait créé une situation dans laquelle les capitales nationales semblaient défier son autorité en ignorant ses appels à envoyer plus de femmes à Bruxelles. Dans une lettre adressée aux dirigeants européens, l’Allemande leur a ouvertement demandé de lui soumettre deux noms pour chaque poste de commissaire, un homme et une femme, au lieu d’un seul.
Cette requête semble s’être retournée contre elle, car la plupart des pays ont refusé de s’y plier et n’ont envoyé qu’un seul nom (seule la Bulgarie a publiquement désigné un homme et une femme).
Selon une source européenne très haut placée, von der Leyen a souffert à la fois de la défiance des Etats membres qui n’ont pas ressenti le besoin de suivre sa demande, d’un manque de protestation publique de la part des responsables politiques de Bruxelles et d’une simple malchance.
“Il ne s’agit pas pour les Etats membres d’essayer d’être méchants”, explique un diplomate européen d’un pays qui a proposé un candidat masculin, sous couvert d’anonymat.
Certains diplomates ont cité une série d’autres raisons pour lesquelles les pays n’ont pas fait ce que von der Leyen leur avait demandé : des accords de coalition qui retirent au dirigeant le pouvoir de désigner le commissaire jusqu’aux impératifs de politique intérieure, en passant par le simple fait que nommer publiquement deux candidats expose celui qui n’obtient pas le poste à l’humiliation politique.
“Il est difficile de mettre deux noms sur le papier parce que celui qui perd, eh bien, perd et en politique, cela donne une mauvaise image”, ajoute le diplomate européen.
Parfois, selon ce dernier, le choix de la personne à envoyer à Bruxelles découle de considérations très nationales : de la volonté de se “débarrasser” d’une figure du parti à la nécessité de récompenser quelqu’un avec un job en or à Bruxelles, le salaire moyen d’un commissaire en 2023 s’élevait à plus de 25 000 euros par mois net d’impôts (les présidents, les vice-présidents exécutifs et le chef des affaires étrangères gagnent tous plus). En Belgique, par exemple, le poste a été attribué à la ministre des Affaires étrangères Hadja Lahbib parce qu’aucun autre parti politique n’a voulu renoncer à un poste dans le prochain gouvernement pour un siège à la Commission.
“En fin de compte, un grand nombre de ces nominations sont faites avec une logique nationale en tête et non une logique bruxelloise”, analyse le diplomate.
Un autre diplomate européen indique qu’Ursula von der Leyen est soutenue dans ses efforts en faveur de l’équilibre hommes-femmes, mais qu’y parvenir c’était son problème.
“C’est en fin de compte à von der Leyen de ‘résoudre ce puzzle’ et elle pourrait faire pression sur les Etats membres, les persuader ou les acheter, pour trouver plus de femmes”, résume le diplomate européen.
Leçons de l’histoire
Lorsqu’Ursula von der Leyen a constitué sa première équipe de commissaires en 2019, elle n’a pas été confrontée au même défi en matière de parité, les pays ayant envoyé plus de femmes que cette fois-ci.
Bien que les traités européens n’obligent pas à constituer une équipe équilibrée sur le plan de la parité hommes-femmes, cette question est de plus en plus considérée comme une priorité pour les présidents entrants de la Commission, depuis José Manuel Barroso et ses dix ans de mandat, débuté en 2004.
L’Allemande a été la première à atteindre l’équilibre entre les hommes et les femmes au sein de l’exécutif bruxellois. Son prédécesseur, Jean-Claude Juncker, comptait neuf femmes sur un total de 27 commissaires.
Le risque croissant pour von der Leyen est qu’en dépit de ses appels aux capitales et de la symbolique de sa propre réélection, elle pourrait finir par présider la Commission la plus majoritairement masculine depuis l’époque Juncker.
“Bien que je n’aie jamais considéré le sexe comme le seul critère de qualification, je trouverais regrettable [sic] que la prochaine Commission compte moins de femmes que la Commission Juncker”, a confié Jourová.
Alors que la pression augmente sur Ursula von der Leyen pour qu’elle finalise ses choix, il semble que ce soit exactement ce qu’elle est en train de faire : serrer la vis aux pays membres de l’UE pour qu’ils proposent des candidates ou qu’ils remplacent leur proposition masculine initiale par une proposition féminine.
Si elle échoue, Ursula von der Leyen pourrait avoir à faire la tâche humiliante de dire au Parlement qu’elle n’a pas réussi à assurer l’équilibre hommes-femmes, quelques mois seulement après avoir promis qu’elle y parviendrait.
Son dernier recours ? Espérer que le Parlement intervienne pour égaliser le score lors des auditions au cours desquelles il peut mettre son veto aux candidats. La dernière fois, il a supprimé trois noms de la liste avant et pendant les auditions.
Cette fois-ci, au moins d’après notre source très haut placée, les députés européens pourraient s’opposer à davantage de nominations, obligeant les pays à proposer d’autres candidats et, potentiellement, plus de femmes.
“L’UE a l’obligation légale de garantir l’égalité entre les femmes et les hommes et d’appliquer l’approche intégrée de l’égalité de genre aux politiques de l’UE. Cet objectif ne peut être atteint sans une représentation égale des femmes aux postes de décision les plus élevés et il est temps que les Etats membres en prennent pleinement conscience”, conclut Jéromine Andolfatto, du Lobby européen des femmes.
Max Griera, Giovanna Coi et Jacopo Barigazzi ont contribué à cet article.
Cet article a d’abord été publié par POLITICO en anglais et a été édité en français par Jean-Christophe Catalon.
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