BERLIN — L’extrême droite allemande est là, et elle est là pour rester.
L’Alternative pour l’Allemagne (AfD) a triomphé dimanche lors des élections régionales dans l’Est, dans un contexte de mécontentement croissant des électeurs à l’égard du gouvernement national du chancelier social-démocrate Olaf Scholz.
Les scores de l’AfD, arrivée en tête en Thuringe et occupant une solide deuxième place en Saxe, ont suscité un nouvel examen de conscience à Berlin, à un an des élections nationales qui pourraient faire basculer la première puissance économique de l’UE à droite.
“Notre pays ne peut pas et ne doit pas s’habituer à cela”, a déclaré Scholz à Reuters après la publication des résultats. “L’AfD nuit à l’Allemagne. Elle affaiblit l’économie, divise la société et ruine la réputation de notre pays.”
En Thuringe, l’AfD — qui a été classée comme extrémiste dans certains Etats allemands — a terminé largement en tête avec près de 33% des voix. Dans l’Etat plus peuplé de Saxe, les chrétiens-démocrates de la CDU, le parti de centre droit de l’ancienne chancelière Angela Merkel, sont arrivés premiers avec environ 32% des voix, juste devant l’AfD.
Alors que l’extrême droite allemande a remporté son plus grand succès électoral depuis la Seconde Guerre mondiale, voici les cinq enseignements à retenir de ce scrutin.
1. L’AfD continue de progresser malgré les efforts pour l’arrêter
Les principaux dirigeants allemands ont agi de concert pour stopper la montée de l’AfD, mettant en garde les électeurs contre l’extrémisme croissant du parti, certains l’ayant même qualifié de parti nazi.
Les services de renseignement intérieur au niveau régional ont classé les sections locales du parti en Saxe et en Thuringe comme des organisations extrémistes visant à saper la démocratie allemande. Au début de l’année, Saskia Esken, coprésidente du Parti social-démocrate (SPD), s’est prononcée en faveur d’un débat sur l’interdiction de l’AfD, ne serait-ce que, comme elle l’a dit, pour “secouer les électeurs” et les sortir de leur complaisance.
Le chef de l’AfD en Thuringe, Björn Höcke, l’une des figures les plus extrêmes du parti, a été reconnu coupable à deux reprises par un tribunal allemand d’avoir délibérément employé une rhétorique nazie.
Malgré les avertissements persistants des dirigeants de partis de gouvernement, des institutions et des tribunaux, l’AfD a poursuivi son ascension, en particulier dans l’est de l’Allemagne.
Cela montre le problème central, qui ne sera pas facile à affronter pour les formations de centre gauche et centre droit : une méfiance croissante à l’égard de leurs dirigeants et des institutions a suscité une ferveur anti-establishment dans une grande partie du pays.
En d’autres termes, même si de nombreux dirigeants et institutions en Allemagne mettent en garde contre l’extrémisme de l’AfD, de nombreux électeurs ont tout simplement cessé de les écouter. Une telle stratégie risquerait donc de se retourner contre eux, en s’aliénant les électeurs de l’AfD.
Les médias traditionnels continuent eux aussi à se demander comment gérer la popularité croissante du parti d’extrême droite. Le soir des élections, un journaliste de la télévision publique, lors d’une interview avec Höcke, a qualifié l’AfD en Thuringe d’extrémiste.
“Cessez de me stigmatiser”, a répondu l’intéressé. “Nous sommes le premier parti populaire en Thuringe. Vous ne voulez pas classer un tiers des électeurs de Thuringe dans la catégorie des extrémistes de droite, n’est-ce pas ?”
2. La BSW devient faiseuse de rois
D’une certaine manière, le plus grand gagnant de la soirée a été l’Alliance Sahra Wagenknecht (BSW), une formation populiste de gauche dirigée par un ancien membre du Parti communiste d’Allemagne de l’Est. Elle a terminé troisième dans les deux Etats, un résultat remarquable pour un parti qui n’a que quelques mois d’existence.
La BSW, qui fusionne les positions traditionnelles de la droite sur l’immigration et d’autres questions sociales, a appelé à plusieurs reprises à la fin de l’aide militaire allemande à l’Ukraine et à des négociations avec Poutine — un point de vue qui bénéficie d’une grande sympathie dans cette partie anciennement communiste de l’Allemagne.
“Nous voulons que la guerre en Ukraine prenne fin et nous ne pensons pas que cela se produira avec de plus en plus de livraisons d’armes”, a déclaré la fondatrice du parti, Sahra Wagenknecht, à la chaîne publique ARD.
En raison du paysage politique de plus en plus fragmenté dans l’Est, la BSW est devenue la faiseuse de rois pour former des gouvernements de coalition au niveau des Etats, d’autant plus que tous les partis ont juré de ne pas s’allier avec l’AfD.
En Saxe et en Thuringe, la BSW jouera certainement un rôle majeur dans les prochains exécutifs.
3. Les électeurs ont sanctionné la coalition au pouvoir à Berlin (une fois de plus)
Les trois partis de la coalition au pouvoir au niveau fédéral en Allemagne — le SPD de Scholz, les Verts et le Parti libéral-démocrate (FDP), conservateur sur le plan budgétaire — ont subi des pertes significatives lors des élections dimanche.
En Thuringe, les Verts et le FDP ont tous deux été exclus du parlement de l’Etat après avoir échoué à atteindre le seuil des 5%, nécessaire pour obtenir des sièges. Les trois partis de la coalition y ont à peine obtenu plus de 10% des voix.
Si le SPD a perdu moins de terrain, il s’agit tout de même d’un résultat terrible pour un parti qui venait déjà d’enregistrer, lors des européennes de juin, sa pire performance dans une élection nationale depuis plus d’un siècle.
Pour tenter de renverser la vapeur juste avant les élections de dimanche, le gouvernement Scholz a annoncé une série de mesures plus strictes en matière d’immigration, montrant à quel point l’ascension de l’AfD sur un message anti-immigration a ébranlé l’establishment politique du pays. Mais cela n’a pas semblé aider le parti lors du scrutin.
“Une grande partie de la population n’a pas confiance dans la capacité de la politique traditionnelle à trouver des solutions et a donc délibérément opté pour un modèle négatif”, a réagi lundi Kevin Kühnert, secrétaire général du SPD.
Les sociaux-démocrates ont une chance de se racheter le 22 septembre, lorsque les électeurs de l’Etat de Brandebourg, lui aussi dans l’Est, se rendront aux urnes. Dans ce Land, le SPD est actuellement crédité d’environ 20%, grâce à la popularité du ministre-président Dietmar Woidke. Toutefois, l’AfD est en tête des sondages avec 24%.
Il est également révélateur que Woidke ait refusé de faire campagne avec Scholz, déclarant au Handelsblatt au début du mois qu’il ne prévoyait pas d’organiser des événements de campagne communs avec le chancelier (même si la circonscription de Scholz se trouve dans le Brandebourg). Il s’agit probablement d’un choix judicieux sur le plan politique, compte tenu de la faible cote de popularité du chancelier dans l’Est et au-delà.
4. L’AfD est devenu un “parti populaire” dans l’Est
En Europe, les partis d’extrême droite bénéficient souvent de l’appui d’électeurs protestataires qui souhaitent simplement exprimer leur mécontentement à l’égard des partis traditionnels. Mais dans l’est de l’Allemagne, il semble que les électeurs adhèrent de plus en plus à l’AfD, non pas par protestation, mais par conviction politique sincère.
Un électeur de l’AfD sur deux en Thuringe et en Saxe a voté pour le parti parce qu’il croit en son message, selon les données de l’institut infratest dimap pour ARD. Il s’agit d’un changement par rapport aux précédentes élections.
De plus, selon les sondages, les électeurs des deux Etats ont déclaré que l’AfD serait la mieux placée pour représenter les intérêts des habitants de l’Est et pour mener de meilleures politiques en matière d’asile et de réfugiés. Sur d’autres questions également, notamment la protection sociale et la lutte contre la criminalité, le parti s’est classé parmi les deux premiers en matière de confiance des électeurs.
En résumé, il semble de plus en plus que l’AfD se soit implantée à l’Est et soit devenue ce que les Allemands appellent un Volkspartei, ou “parti populaire”, un titre qui était, jusqu’à récemment, réservé aux formations traditionnelles telles que le SPD et la CDU.
5. La mise en place de gouvernements de coalition peut être un long feuilleton
Ce n’est pas la première fois que les responsables politiques devraient être mis à l’épreuve lors de la formation de coalitions à l’Est. Après les précédentes élections régionales en Thuringe en 2019, une crise politique majeure a éclaté lorsque Thomas Kemmerich, membre du FDP, a été élu ministre-président avec le soutien de l’AfD.
La coopération avec la formation d’extrême droite a suscité un tollé dans tout le pays, obligeant Kemmerich à se retirer. Il a été remplacé par Bodo Ramelow de Die Linke (La Gauche), qui a présidé un gouvernement minoritaire dans l’Etat.
Cet épisode a mis en évidence la difficulté de former des gouvernements de coalition sans l’AfD dans un paysage politique de plus en plus fracturé à l’Est.
Malgré ses bons résultats en Saxe et en Thuringe dimanche, il est peu probable que le parti d’extrême droite prenne le pouvoir, car toutes les autres formations politiques ont déclaré qu’elles ne feraient pas de coalition avec lui.
En Thuringe, par conséquent, le seul gouvernement majoritaire réaliste est une alliance entre la CDU, la BSW et Die Linke. La CDU a toutefois officiellement exclu toute coopération avec ce dernier dans une résolution du parti.
Compte tenu de la complexité de la situation, la formation de nouvelles coalitions pourrait prendre des mois. L’AfD, quant à elle, ne manquera pas de rendre les choses aussi difficiles que possible, en présentant son exclusion des coalitions comme une privation des droits de ses électeurs.
Cet article a d’abord été publié par POLITICO en anglais et a été édité en français par Jean-Christophe Catalon.
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